kounde (jules) (R. Perrocheau/L'Equipe)

Girondins de Bordeaux : Jules Koundé, petit mais puissant

En mars dernier, au coeur d'un grand format, FF.fr vous proposait le portrait de Jules Koundé. Alors que le défenseur français de 20 ans vient de s'envoler pour Séville pour 25 millions d'euros, redécouvrez son parcours où vous en apprendrez beaucoup sur sa personnalité.

A 20 ans, il est déjà le taulier de la charnière bordelaise et étonne par sa maturité et son profil de défenseur atypique. De la Brède aux Girondins, retour sur la jeune carrière de Jules Koundé.

12 novembre 2012, scène surréaliste à La Brède. Au bout de dix minutes de jeu, une action litigieuse a lieu entre le gardien adverse et un attaquant du club girondin. Trop loin de l'action et donc incapable de voir qui avait fait la faute, l'arbitre décide de parcourir le terrain dans le sens inverse pour sanctionner le capitaine des locaux. Une terrible désillusion pour Jules Koundé, 14 ans et qui vient tout juste d'hériter du brassard. Ludovic Faucher, entraîneur adjoint à l'époque, se souvient : «Je crois que je ne l'ai jamais vu autant pleurer de toute sa vie. Par la suite le fautif s'est dénoncé, mais l'arbitre n'a rien voulu entendre.» Un épisode dramatique sur le moment, mais qui semble désormais anecdotique, tant le jeune homme a surmonté cette épreuve. Capitaine dans quasiment toutes les équipes de jeunes à Bordeaux, il impressionnait. Jean-Luc Dogon, entraîneur en U19 précise : «Quand il est arrivé il a pas mal observé, il était timide. Il s'est affirmé au fur et à mesure des rencontres et a fini par être capitaine, ce qui lui a donné de la confiance, sans excès, et l'a fait progresser chaque année. Il a un leadership naturel, ce n'est pas quelqu'un d'exubérant, mais sur le terrain il est fédérateur, il dégage une sérénité et une force qui fait que les autres le suivent.» Grâce à lui, les U19 ont été champions de France en 2017. Jean-Luc Dogon toujours : «Lors de l'année du titre, il était au-dessus des autres, c'était le patron, le leader défensif. Il emmenait les autres dans son sillage.»

Jules Koundé, en haut à gauche, à côté de son éducateur Julien Bergo à Landiras, son tout premier club (DR)

Sur la route de Sochaux

Et pourtant, il aurait bien pu ne jamais porter le maillot girondin. Ca aurait forcément été un grand regret pour cet amoureux de Bordeaux, pour qui «l'écusson et le maillot signifient quelque chose» selon les mots de Gérald Ruet, recruteur au club. Mais l'histoire a connu des complications. Les Girondins, qui le scrutaient depuis ses douze ans, tardaient à passer à l'action. Dans le même temps, d'autres clubs s'activaient en coulisses. Si la Real Sociedad (où il avait joué un match avec La Brède) et Rennes ne sont pas allés plus loin qu'une simple observation, Sochaux a tenté le coup. Proche de la famille à ce moment, Ludovic Faucher détaille : «Il est allé trois ou quatre jours à Sochaux. Ils l'ont essayé en tant que latéral droit et ça ne s'est pas très bien passé, il manquait quelque chose.» Thierry Borsato, son entraîneur à la Brède qui militait pour son départ dans une grande écurie, a une autre théorie. Gros dormeur, Koundé s'était endormi pendant l'intégralité du voyage aller et retour dans la voiture du recruteur sochalien, un point qui aurait grandement déplu à ce dernier. Comme quoi une carrière ne tient pas à grand chose.

Quelques jours plus tard, des émissaires bordelais se rendaient à Agen pour voir jouer un numéro dix annoncé comme un futur phénomène. «Quand ils sont arrivés, il n'a pas fait un bon match, au contraire de Jules qui était exceptionnel, rembobine Ludovic Faucher. Ils l'ont alors convoqué en U13. Il avait fait un bon match, mais il était trop frêle physiquement. Plusieurs années plus tard, il a joué deux matches avec le Pôle espoirs de Talence contre Toulouse, où travaillait alors Yannick Stopyra. Quand il est arrivé à Bordeaux, sa priorité était d'engager Jules. Si Stopyra n'était pas venu à Bordeaux, il n'aurait peut-être jamais signé pro.» Il faut croire que l'épisode sochalien n'a pas pour autant traumatisé le Franco-béninois. Encore aujourd'hui, il a le sommeil facile. «Je suis à côté de lui dans le bus, et à chaque fois il dort, même si le trajet n'est que de cinq minutes, et c'est moi qui dois le réveiller, sourit Zaydou Youssouf, son coéquipier et ami à Bordeaux. Mais après il est performant sur le terrain. On en rigole à chaque fois

Koundé s'était endormi pendant l'intégralité du voyage aller et retour dans la voiture du recruteur sochalien, un point qui aurait grandement déplu à ce dernier.

Jules Koundé (à droite) avec Zaydou Youssouf, lors de leur passage en professionnel. (DR)

Finalement, il signait professionnel (au contrat minimum et en tant que stagiaire) en même temps que Zaydou Youssouf. Mais la lutte n'était pas finie. «Le courant n'est pas passé avec Jocelyn Gourvennec», selon Théo Pellenard, ex-bordelais désormais à Angers. Zaydou Youssouf va plus loin : «Gourvennec ne le voyait pas en défenseur central car il trouvait que sa taille pouvait porter préjudice, donc il l'a décalé en latéral droit. Je le taquinait un peu là-dessus car c'est un poste qu'il n'apprécie pas du tout. Mais il a quand même essayé et après un autre coach lui a fait confiance. Il a été très performant et il est resté.» Pour Jérémy Ramalingam, qui gère ses intérêts avec Jonathan Kébé, cet épisode lui a été bénéfique : «Eric Blahic (l'adjoint de Jocelyn Gourvennec a l'époque, NDLR), a été très sévère avec lui. Il ne l'a pas lâché mais ça l'a fait progresser. Quand à un entraînement il était moins bien, il lui disait, c'était de la bienveillance.»

En lutte constante pour se faire sa place

Après une première saison couronnée de succès sous les ordres de Jean-Luc Dogon, Jules Koundé a dû cravacher pour se faire une place à Bordeaux. Notamment à cause de sa taille. Il faut dire qu'un défenseur central d'1,78m, ça peut gêner certains entraîneurs. Pour Gérald Ruet, c'est dans la culture française : «Certains entraîneurs en France se rassurent avec des morphotypes très précis sur les postes de défenseurs centraux qui doivent être grands.». Une bêtise pour Philippe Montanier, qui l'avait sélectionné en équipe de France U20 : «Il faut noter qu'un des seuls défenseurs Ballon d'Or, c'était Fabio Cannavaro, qui ne mesurait pas 1.80m.» Un déficit physique qui a transformé son statut dans le centre de formation. Jean-Luc Dogon se souvient : «La seule question qui se posait pour qu'il passe pro ou non, c'était sa taille. C'est pour ça que Zaydou Youssouf était vu comme la pépite et pas lui.»

Cet amour du jeu pour l'avant, il en garde une trace indélébile. Défenseur élégant balle au pied, il est doté d'un excellent timing et d'une très bonne détente verticale, mais aussi d'une lecture du jeu très fine. Par conséquent, il aime relancer proprement, casser les lignes par la passe, ou même en portant le ballon très haut. Une qualité à double tranchant. Pour Nicolas Maurice-Belay, il a «parfois des moments d'absence». Cela s'est notamment vu mardi contre Montpellier. Philippe Montanier justifie ces errances par son inexpérience : «Il faut qu'il acquière de l'expérience comme tout jeune joueur pour que ses interventions soient plus justes. Il a une bonne relance, mais il ne faut pas qu'il soit trop facile, car il a tendance quand ça se passe bien à tomber dans la facilité et à avoir plus de déchet qu'à l'accoutumée» Et ça, Jules Koundé en est conscient. Il a d'ailleurs toujours bien pris les critiques, même à son plus jeune âge. «Quand je lui disais qu'il était nul, il le prenait positivement, et c'est aussi pour ça qu'il en est là aujourd'hui, les critiques l'ont fait avancer» confirme Ludovic Faucher.

«Gourvennec ne le voyait pas en défenseur central car il trouvait que sa taille pouvait porter préjudice»

Un défenseur tourné vers l'avant

Pourtant, sa palette technique était déjà bien garnie. Défenseur central de coeur et de formation, Jules Koundé a déjà évolué à d'autres postes plus jeune. Louis Vivin, un ancien coéquipier à La Brède, résume : «C'était un peu le couteau-suisse. Il jouait principalement défenseur central, mais dès qu'on avait besoin de solidifier le milieu, il montait. Si en fin de match on devait changer le dispositif, il pouvait jouer en numéro 6 sans problème.» Et même plus haut. «On perdait 2-1 contre le FC Pau, confie Thierry Borsato, alors j'ai fait le choix de le mettre en attaque. Il a eu trois occasions : un poteau, un arrêt du gardien, et une à côté. On a perdu mais il avait amené le plus offensif qu'il nous manquait.»

«Quand je lui disais qu'il était nul, il le prenait positivement, et c'est aussi pour ça qu'il en est là aujourd'hui»

Pour le garder, les Girondins ont dû réfléchir en interne. «Avant l'été 2017, il avait signé un contrat pro qui prenait effet en juillet 2018. Mais entre-temps il a joué, donc le contrat ne correspondait plus à son statut, surtout financièrement. Donc une prolongation a été discutée dès l'été pour qu'il reste. Elle n'a pu être officialisée que six mois après, comme le prévoit la loi», indique une source proche du joueur. Mais le dossier n'est pas clos pour autant. Avec ses nouveaux investisseurs, Bordeaux a mis en place une stratégie monégasque de revente de jeunes joueurs. «Donc s'il y a une belle offre, Bordeaux ne fermera pas la porte. Il représente un actif qui promet une belle plus-value», assure cette même source. A défaut de rejoindre le Real Madrid (son club rêvé) et Raphaël Varane (son idole), Jules Koundé devrait logiquement signer dans un bon club européen dans les années à venir. A condition qu'il ne s'endorme pas sur le trajet...

Un professionnalisme déjà bluffant

Même s'il n'a que 20 ans, Jules Koundé souhaite exploiter pleinement son potentiel. Pour ce faire, il a très vite ciblé ses points faibles et cherché à les éradiquer. Dès la reprise l'été dernier, il a fixé des axes de progression, notamment au niveau de la relance, des passes verticales et sur la lecture du jeu. Cela vient en complément d'une hygiène de vie irréprochable. En plus d'être l'un des premiers à arriver et des derniers à partir du centre d'entraînement, il prend énormément soin de son corps. Son agent détaille : «L'été dernier, il est parti à Los Angeles faire des soins avec des préparateurs physiques et des kinés de NFL et NBA, parce qu'il sait que son outil de travail c'est son corps. En tant que pro, ça semble normal, mais il le faisait déjà quand il était en centre de formation. On le prenait et il montait sur Paris pour faire des séances de préparation physique. Ce n'est pas anodin qu'à son âge il n'ait jamais eu besoin de souffler.» En effet, avec 41 matches joués, il est le joueur de champ le plus sollicité à Bordeaux, et de loin (795 minutes de plus que le second, Maxime Poundjé). Si l'on occulte les suspensions, Jules Koundé n'a manqué qu'un seul match cette saison.

Estimé à 25.5 millions d'euros par le CIES, Jules Koundé a multiplié sa valeur par 7 en un an.

Séville et Dortmund s'intéressent à lui

«Cette année, il a encore pris une dimension supplémentaire, souligne Jean-Luc Dogon. Plus je le vois, plus je pense que c'est le patron. Il parle plus, il monte plus, et surtout, il a une marge de progression intéressante.» Pour son agent, son talent se mesure également à son caractère : «Rien qu'en parlant avec lui, on sait qu'il ira loin. Vous pouvez parler de tout avec lui, il est très curieux. Rien à voir avec les autres joueurs de 20 ans.» Une ouverture d'esprit et une éloquence qui ne sont pas sans rappeler celles de Kylian Mbappé. Assez logiquement, il a tapé dans l'œil des écuries européennes. Mais les Girondins, qui l'avaient déjà privé du Tournoi de Toulon en juin dernier pour qu'il soit dans le groupe, ne comptaient pas le laisser partir de sitôt. Pourtant la concurrence était féroce. D'un côté, le FC Séville, qui l'a rencontré à Paris en lui promettant du temps de jeu, et de l'autre le Borussia Dortmund. Une deuxième destination moins envisageable car Jules «est plutôt frileux», sourit Françoise, sa mère.

«S'il y a une belle offre, Bordeaux ne fermera pas la porte.»

Emile Gillet