Nov 1, 2017; New York, NY, USA; New York Knicks point guard Frank Ntilikina (11) in action against the Houston Rockets at Madison Square Garden. Mandatory Credit: Brad Penner-USA TODAY Sports (/USA TODAY SPORTS/PRESSE SPORT/PRESSE SPORTS)

Frank Ntilikina : «Pour Kylian Mbappé comme pour moi, l'idée est de parvenir à jouer au sens premier du terme»

Jeunes talents expérimentent problématiques similaires. Dans le cadre d'un dossier consacré à Kylian Mbappé, c'est de ce constat-là que FF est parti pour interroger une nouvelle génération de sportifs au sujet du champion du monde. Troisième épisode avec Frank Ntilikina, le meneur de jeu de l'équipe de France de basket et des New York Knicks.

25 avril. La capitale économique et culturelle des États-Unis et le basket américain sont à l’arrêt mais pas Frank Ntilikina. Déterminé à tirer profit de la période pour bosser sur son corps et son shoot, le meneur de jeu de l’équipe de France et des New York Knicks nous répond après une énième séance de tirs. Nous souhaitions l’entendre sur ce que cela représentait d’évoluer au sein d’une équipe ultra-médiatisée, sur la difficulté de performer tous les trois jours et celle, pour un jeune sportif, de se développer physiquement sans que cela ne se fasse au détriment de qualités naturelles. Sur toutes ces problématiques avec lesquelles des garçons comme lui ou Kylian Mbappé doivent composer, en somme. On a été (très bien) servi.

- Kylian Mbappé, secrets d'athlète

«Comment ça va, tout d’abord ?
Ça va bien, merci. On s’adapte, on essaye de faire des choses que l’on n’a pas l’habitude de faire en temps normal. Je ne cache pas que ça m’a pris un peu de temps pour me «reprogrammer» en mode confinement mais je crois que ça y est. J’optimise le temps, on va dire.
 
Tu as de quoi t’entraîner ?
Je suis à New York, et ça va, ça va, j’ai un panier chez moi. Ça permet de garder la forme.
 
Comment fait-on, en temps normal, pour performer tous les deux ou trois jours ? À quel point est-ce difficile pour un joueur NBA ou un footballeur qui joue l’Europe ?
C’est beaucoup de travail mais aussi et surtout la mise en place de routines. Ça, c’est propre à tous les athlètes de très haut niveau ou les gens dans la vraie vie qui ont un rythme de travail intense. C’est sûr que, pour moi, le changement a pu être un peu difficile à digérer, même si lors de la dernière saison à Strasbourg, les matches étaient également nombreux. Ici, en NBA, tu as 82 matches, ce n’est pas toujours évident pour le corps. Ça tape un peu parfois pour les jeunes joueurs que nous sommes, notamment en milieu de saison. Tu te sens fatigué. J’avais très souvent envie de dormir, la première année. Les voyages ne sont pas toujours quelque chose de facile à gérer ni à encaisser. Mais avec le temps, on s’y fait.

Le corps finit donc par s’habituer à ces contraintes ?
C’est ça, on s’habitue. Avec beaucoup de travail, donc, et en instaurant des routines de travail. L’idée, c’est de tenir un calendrier, d’être à l’heure dans tout ce que l’on fait. Et au fur et à mesure, votre corps parvient à prendre le rythme que vous lui imposez.

«Performer à ce point-là avec toute cette frénésie autour de lui, c'est fort»

Le physique, c’est une chose, mais l’usure peut parfois être mentale…
Parfois, oui. Ce n’est pas que la motivation n’est pas là mais (il cherche ses mots)… Vous êtes moins dedans ! Disons qu’il y a des jours durant lesquels on se sent mieux que d’autres. Mais je crois que c’est quelque chose de normal. Et encore une fois, si vous respectez certaines choses, vous finissez par vous y faire. Mais uniquement si vous êtes rigoureux, si vous respectez ce que l’on a évoqué juste avant.

Sans quoi on se prend le fameux rookie wall ?
C’est ça ! En NBA, on parle beaucoup de ce moment de la saison durant lequel les jeunes joueurs ont du mal. Et bien moi, pour être honnête, j’ai l’impression de m’en être pris trois, des rookie walls ! (rires) Je me sentais fatigué, certes, mais j’étais surtout moins dedans mentalement. Je sentais que ce n’était pas tant mon corps que ma tête.
D’autant que le fait de jouer à New York pour une franchise mythique ou pour le Paris Saint- Germain dans le cas de Kylian Mbappé, avec tout ce que cela implique, ça doit peser…
Bien sûr, ça pèse ! Dans le sens où il y a beaucoup plus d’enjeux qu’ailleurs, d’attention autour de l’équipe, ce genre de choses. On connaît tous le PSG ! Pour ça, je lui tire mon chapeau. Performer à ce point-là avec tout ce qu’il y a autour en termes d’attention médiatique, cette frénésie, c’est fort.
Comment y parvenir ?
De mon point de vue, il faut parvenir à se dire que ça ne reste que du basket ou, dans le cas de Kylian, que du football. Lui semble l’avoir intégré. On a l’impression qu’il parvient à mettre certains enjeux de côté. De toute façon, pour lui comme pour moi, l’idée est de parvenir à jouer au sens premier du terme.
Et est-ce qu’au fil des ans on finit par trouver l’anormalité normale ?
Ça dépend des joueurs. Tu as aussi certaines personnes qui arrivent sur le devant de la scène en étant prêtes ! Chez Kylian, c’est notamment ça qui est fort. Inversement, tu as des mecs qui arrivent au plus haut niveau, qui sont très talentueux mais qui ne parviennent pas à exprimer leur talent. Probablement à cause de certains facteurs psychologiques...

Les deux jeunes talents, ici lors de la cérémonie des trophées UNFP. (S.Boue/L'Equipe)

À ce moment-là, l’entourage joue un rôle clé ?
C’est très important. Jusqu’à l’âge de mes 17 ans, je n’avais pas d’agent. C’était moi et mes grands frères ou ma mère et moi, comme tu veux. Quand tu es jeune et que tu es aux portes de ce milieu, ça se joue plus au niveau de la famille. Ce n’est qu’une fois dans le monde professionnel que tout se structure un peu plus. En tout cas, c’est comme ça que ça s’est passé chez moi. Mais il faut bien mesurer ce que l’arrivée dans le monde pro implique. Tu changes de mode de vie ! Personnellement, j’ai dû quitter ma famille, partir de Strasbourg, par exemple. Et puis après il te faut un agent car la NBA est un business.
 
Il y a autre chose qui te rapproche d’un sportif comme Mbappé : le fait de ne pas ou peu s’entraîner à très haute intensité. C’est quelque chose que tu apprécies ou tu préférerais au contraire disposer de vraies plages de travail ? Comment gère-t-on cette quasi disparition de l’entraînement au profit de séries de matches rapprochés ?
En centre de formation, tu t’entraînes beaucoup beaucoup (il insiste). En NBA ou pour un joueur comme Kylian, le rythme devient très différent. Mais ce qui est magnifique c’est que tu joues et que tu peux en plus faire du rab pour progresser ! L’entraînement ou les matches ne suffisent de toute façon pas. Il faut manger des répétitions. Je ne vais même pas parler d’arriver en premier à la salle. Il faut que tu parviennes, toi, dans ton programme, à caler des temps d’entraînement avant les entraînements.
 
C’est du stakhanovisme…
Il faut travailler sur son jeu ! Tu es là, tu as 21 ans, tu es entouré de mecs qui en ont 28 ou 29. Eux, leur jeu, il est déjà fait. Toi, tu te dois de travailler. Les plages de travail sont très courtes mais si tu as envie de bosser, de progresser, tu peux. Ça élève encore le rythme, c’est sûr, mais ce sont des sacrifices qu’il faut faire.
 
Comment ça se passe en pratique ? Tu as un coach en charge de ton développement individuel ?
Dans les grandes organisations, il y a beaucoup de coaches assistants. C'est la même chose en foot ? En tout cas, ces assistants-là ont en charge trois ou quatre joueurs avec lesquels ils vont effectuer des workouts toute l’année. C’est du travail individuel, de la vidéo, des petits conseils, ce genre de choses… Tu as un coach attitré et ça c’est vraiment cool car on t’offre des ressources pour progresser.

«J'adore trop le basket pour dire que j'envie les footballeurs !»

Ça passe aussi par la musculation. À l’instar de Kylian Mbappé, tu as beaucoup pris en muscles. Comment trouve-t-on le bon équilibre pour que ce renforcement musculaire ne se fasse pas au détriment d’autres qualités telles que la vitesse, l’agilité ou encore l’adresse ?
Je vais te reparler des routines… Et du travail. Ça peut paraître un peu cliché mais c’est ça. Quand tu essayes de prendre un peu de muscle, si tu fais une séance de musculation qui dure une heure et demi, tu dois faire en sorte qu’avant cette heure et demi, tu aies fait 10 ou 15 minutes de mobilité. À cela s’ajoutent des soins, de la récupération. Et je ne parle même pas de l’alimentation… Après, pour l’adresse, par exemple, je reviens à la salle en fin d’après-midi ou le soir (les Knicks s’entraînent généralement en début d’après-midi, ndlr). L’idée, c’est aussi de sentir quand on a l’énergie pour y retourner, quand c’est intelligent de le faire. Parfois, j’y vais juste pour le bain froid.
Le bain ne peut pas se prendre à la maison ?
C’est important d’aller à la salle, même pour un bain ou de la vidéo. Il faut se conditionner. Avoir cette routine, ça façonne ton état d’esprit.
Donc si tu fais tout ça, le développement athlétique ne déréglera pas ton tir ou tes attributs techniques ?
Exactement. Il faut faire, il faut faire (il répète). Si tu ne fais que de la musculation, c’est là qu’il va y avoir un problème. Si tu prends 15 centimètres et que ton shoote se dérègle, c’est simple : il faut aller à la salle et tirer. Après, tu as des garçons plus talentueux que d’autres, mais il n’y a pas de secret. Ça peut paraître cliché, mais c’est la vérité. Sauf si tu t’appelles Michael Jordan (rires).
Est-ce que les fameux systèmes propres à votre sport peuvent avoir un côté frustrant ? On a parfois l’impression que vous pouvez moins vous émanciper de certaines consignes que les footballeurs…
En Europe, le côté systèmes est encore plus accentué donc si je jouais là-bas, peut-être… Encore que, j’adore trop le basket pour dire que j’envie les footballeurs (rires). Mais en NBA, le jeu est de toute façon un peu différent. Il y a moins de systèmes, c’est un peu plus libre. Ça s’apparente un peu plus à ce que vous connaissez en foot, en définitive. Pas exactement mais il y a beaucoup plus de rythme et moins de systèmes.

Kylian Mbappé et Frank Ntilikina, s'ils ne partagent pas la même discipline, ont des points communs. (J.Prevost/L'Equipe)

Ça convient mieux à un jeune joueur comme toi ?
J’ai senti la différence (par rapport à Strasbourg) et c’est vrai que ça fait du bien, oui. La NBA, c’est que je regarde depuis gosse donc c’est ce jeu-là qui me fait kiffer. Je repense à la question précédente (il réfléchit)… Je comprends ce que tu veux dire sur le côté liberté mais je ne m’étais jamais posé la question, en fait (rires). En tout cas, le basket américain me convient.
 
Tu adores défendre. C’est à tout le moins l’un des tes points forts. Kylian Mbappé ne peut pas vraiment en dire autant… Est-ce que ce n’est pas lui qui a raison de s’économiser dans ce secteur de jeu ?
C’est compliqué de performer des deux côtés du terrain… On en revient encore à cela mais être performant des deux côtés du terrain, ça passe par le travail. Et c’est d’ailleurs ce que je suis en train de faire en cette période de confinement. C’est bateau comme message mais c’est la vérité ! Ça passe par beaucoup de persévérance. Après, pour Kylian, c’est différent, non ? Je ne suis pas un expert en foot mais ce qu’on demande à un attaquant, c’est uniquement de marquer des buts, non ?
 
Pas toujours…
En tout cas, pour moi, les deux (attaquer et défendre) ne sont pas incompatibles. Après le basket et le foot sont un peu éloignés de ce point de vue. Mais si tu prends des joueurs comme Kawhi Leonard ou Paul George, ils savent faire les deux et c’est pour ça que ce sont des superstars. Personnellement, c’est mon objectif.
 
Tu suis le foot ?
Je regardais beaucoup quand j’étais en France, un peu moins maintenant car les matches tombent l’après-midi. Mais j’essaye de suivre le Championnat de France malgré tout. Et la Ligue des champions, bien sûr. La C1, je suis tout.
 
Il y a des moments durant lesquels Kylian t’a impressionné ?
Il y en a beaucoup ! Avec Monaco face à Dortmund, déjà… Puis avec l’équipe de France. Ce qu’il fait contre l’Argentine c’est… impressionnant. Plus globalement, les deux saisons qu’il vient de sortir sont solides. Un tel niveau de précocité, c’est impressionnant.
 
Vous vous connaissez ?
On s’est rencontrés aux Trophées UNFP, oui. On est parfois en contact mais c’est compliqué car on a tous les deux des saisons bien chargées. Il sait en tout cas que je le suis et inversement.»
 
Thymoté Pinon 

L'intégralité du dossier consacré à Kylian Mbappé est à retrouver dans le nouveau numéro de France Football. À retrouver en version numérique en cliquant ici ou en kiosques.