Foto IPP/Paolo Bleke Udine 23/03/2019 Calcio partita di qualificazioni Campionati Europei Italia-Finlandia nella foto Nicolò Barella festeggia il gol con moise kean e cristiano piccini Italy Photo Press - World Copyright *** Local Caption *** (Paolo Bleke/IPP/PRESSE SPORTS/PRESSE SPORTS)

Euro Espoirs : avec sa génération dorée, l'Italie tient peut-être son «Risorgimento»

Un an et demi après le drame qu'a constitué la non-qualification pour la Coupe du monde en Russie, l'Italie accueille l'Euro Espoirs emmenée par une génération exceptionnelle. L'espoir d'une renaissance est fort dans un pays où la victoire reste un impératif quotidien.

C'est une équipe qui cristallise presque tous les espoirs d'un pays auquel, ces dernières années, le football a fait beaucoup de mal. Treize ans après la victoire en Coupe du monde de l'une de ses plus belles équipes, l'Italie veut se sortir du marasme dans lequel est plongé sa sélection. Et les vingt-trois jeunes hommes qui défendront le blason de la Nazionale lors de l'Euro Espoirs, qui se tiendra du 16 au 30 juin en Italie et à Saint-Marin, ont les arguments pour ramener un peu de soleil au-dessus de la Botte. Au premier regard, cette équipe est un ovni, un concentré de talent rarement vu à ce niveau. «Ça fait longtemps qu'on n'avait pas eu une équipe Espoirs aussi riche en qualité», abonde Guillaume Maillard-Pacini, journaliste à Eurosport et spécialiste du football italien. Il faut dire que la liste a de quoi faire saliver : Audero, Meret, Bastoni, Mancini, Tonali, Barella, Pellegrini, Mandragora, Zaniolo, Chiesa, Cutrone, Kean pour ne citer qu'eux, autant de jeunes talents qui forment le noyau dur de la génération dorée italienne et qui placent les Azzurrini parmi les grands favoris de leur Championnat d'Europe.

«La principale différence avec les précédentes équipes Espoirs, même celle de l'année dernière avec Donnarumma ou Bernardeschi, c'est que beaucoup de joueurs ont l'expérience du haut niveau», analyse le journaliste italien Federico Casotti, qui couvre le Championnat italien pour le diffuseur DAZN. Seuls deux des vingt-trois joueurs retenus évoluent en Serie B, le troisième gardien Lorenzo Montipo et le milieu Sandro Tonali, que les plus grands d'Europe observent avec insistance après sa brillante saison à Brescia. Le reste a fait ses gammes dans des clubs de milieu, parfois de première partie de tableau de Serie A, où la plupart ont la confiance de leur entraîneur et ont pu enchaîner les matches au haut niveau. «Toute l'Italie s'est prise de passion pour cette équipe, parce que ce sont des joueurs que l'on suit au quotidien en Serie A, poursuit Guillaume Maillard-Pacini. On espère vraiment les voir réaliser quelque chose, pour ensuite faire le grand saut en Nazionale.»

Un grand saut que certains, paradoxalement, ont déjà effectué. Les sélections Espoirs servent généralement d'étape intermédiaire, et les retours y sont rares. Or, dix des vingt-trois Italiens qui disputeront l'Euro ont déjà été appelés en A. Mancini, Barella, Pellegrini, Zaniolo, Chiesa et Kean étaient même du denier groupe de la Nazionale pour les matches de qualification à l'Euro 2020 contre la Grèce (3-0) et la Bosnie (2-1). Arrivé en poste sur le banc de la Squadra Azzurra en mai 2018, Roberto Mancini fait rapidement et régulièrement appel à des garçons comme Federico Chiesa, Lorenzo Pellegrini et Nicolo Barella, qui brillent en Serie A, et même Nicolo Zaniolo, qu'il convoque pour la première fois en septembre 2018 alors qu'il n'a pas joué le moindre match de Serie A. Un pari audacieux et hautement symbolique : là où l'Italie fait difficilement confiance à ses jeunes, Mancini veut faire savoir à cette nouvelle génération qu'il compte sur elle.

«L'Italie s'est prise de passion pour cette équipe, parce que ce sont des joueurs que l'on suit au quotidien en Serie A» (Guillaume Maillard-Pacini)

Gagner à tout prix

Alors pourquoi les retrouve-t-on en Espoirs, alors qu'il y a plus d'une place à portée de ces jeunes chez les A ? Pour Guillaume Maillard-Pacini, c'est un signe que l'Italie veut prendre le temps de reconstruire son équipe après le traumatisme de 2017, et l'échec de la Nazionale en qualifications pour la Coupe du monde 2018 : «Le football italien était en ruines. Il y a eu une prise de conscience générale qu'il fallait miser sur la jeunesse. Il y a un vrai tremplin qui s'installe, solide, entre les Espoirs et les A.» En leur faisant jouer ce genre de compétitions ensemble, l'Italie entend les préparer au niveau supérieur, créer un noyau et prendre le temps de polir cette génération sans brûler les étapes. «On sait que le temps des Totti, Del Piero, Nesta et Maldini est révolu, alors on est prêt à attendre pour faire mûrir cette génération», poursuit le journaliste. Un changement de mentalité récent, qui n'est pas encore adopté partout, mais qui prend petit à petit racine au pays du Calcio.

Un choix qui n'est toutefois pas dénué de tout intérêt immédiat. Car si la prise de conscience du salut que peut apporter la jeunesse au football italien est réel, la fédération et les clubs n'ont que très peu agi concrètement dans ce sens. En revanche, si l'Italie a choisi de blinder son équipe Espoirs, c'est qu'elle était consciente qu'il y avait là une opportunité de se refaire rapidement la cerise après 2017, et de montrer au monde que l'Italie est encore en vie. «La fédération veut faire un très bon tournoi, c'est pourquoi par exemple ils ont pris certains joueurs éligibles en U20, comme Kean et Zaniolo, alors qu'ils disputaient la Coupe du monde en Pologne, observe Federico Casotti. La fédération italienne veut gagner cet Euro, ou au moins faire un très bon parcours, et donner une bonne image d'un football italien qui se relance.»

Une politique de l'immédiateté qui pourrait coûter à l'Italie sur le long cours. «En Italie, il y a une culture du résultat hyper importante, analyse Johann Crochet, journaliste et co-créateur du podcast Calcio e pepe. Contrairement à l'école néerlandaise qui se focalise sur le développement individuel des joueurs, l'Italie pense d'abord aux résultats immédiats. Et on estime que pour gagner, il faut de l'expérience.» C'est l'une des raisons pour lesquelles les jeunes n'arrivent pas, pour le moment, à s'installer chez les A, où l'on a encore vu le vétéran Fabio Quagliarrella à la pointe de l'attaque contre la Bosnie.

Ils vont donc gratter du temps de jeu chez les Espoirs. Un yo-yo qui risque de freiner leur propre développement, et qui empêche aussi d'autres joueurs, plus jeunes, d'accéder à l'équipe Espoirs. Une potentielle victoire à l'Euro cet été serait l'arbre cachant la forêt : «Si on gagne l'Euro, on pourrait typiquement se dire : "On a gagné, tout est réglé", alors que ce n'est pas le cas, redoute Guillaume Maillard-Pacini. Il y a ce paradoxe entre ce culte du résultat, qui prime sur tout et, depuis peu, cette idée qu'il faut donner la chance aux jeunes. Si les clubs et les instances ne se réveillent pas et ne prennent pas des décisions fortes, on va se retrouver dans la même situation dans quelques années. L'Italie est un pays qui a parfois du mal à avancer.»

«La fédération donner une bonne image d'un football italien qui se relance» (Federico Cassotti)

Génération Erasmus ?

Si l'Italie a toujours produit des bons joueurs, les clubs italiens ont depuis plusieurs années pris l'habitude de miser plus systématiquement sur des joueurs expérimentés, achetés à prix fort, plutôt que de faire confiance à leurs jeunes. Une attitude qu'illustre parfaitement le cas de Nicolo Zaniolo, utilisé comme monnaie d'échange par l'Inter pour attirer Radja Nainggolan, et qui a explosé à la Roma. Forcément, la qualité générale du vivier pâtit de ce manque de confiance des plus grands clubs. Seule la Juventus, par laquelle sont passés Audero, Romagna, Madragora, Orsolini et Kean, mise sur sa formation depuis plusieurs années. «Depuis huit, dix ans, la Juve travaille beaucoup avec les jeunes, acquiesce Federico Casotti. Ces joueurs ont l'étiquette "Juventus", ça n'existait pas dans les années 80-90.» L'année dernière, après le fiasco de la Nazionale, la Juve devenait le premier (et seul) club professionnel italien à créer une équipe réserve, qui évolue en Serie C.

Le chemin à parcourir reste long. Malgré la qualité de la cuvée 2019 de la sélection Espoirs, l'Italie ne connaîtra sa résurgence qu'au prix de changements dans sa politique de formation. Ce qui pourrait passer par une exportation plus systématique des meilleurs jeunes vers l'étranger. Aujourd'hui, très peu de joueurs italiens majeurs jouent à l'étranger et les jeunes, faute de place dans les meilleurs clubs transalpins, sont limités à des clubs plus modestes. «Pour compléter la formation, ce serait une bonne idée de faire une, deux saisons, même en prêt, à l'étranger... un peu comme un Erasmus, propose Federico Casotti. Dans l'équipe nationale A, il y a des joueurs qui n'ont joué aucun match européen avec leur club. C'est inacceptable pour une équipe comme l'Italie.» À moins qu'un triomphe de ses Azzurrini encourage les grands clubs italiens à faire confiance à leur jeunesse. Une victoire leur donnerait une crédibilité, un statut qu'ils n'ont pas encore aujourd'hui. À eux de concrétiser les espoirs placés en eux par le public italien, qui attend beaucoup de cet Euro pour faire bouger les choses.

Alexandre Aflalo