Soccer Football - France Training - Clairefontaine, France - October 8, 2018 France's Tanguy Ndombele before training REUTERS/Gonzalo Fuentes (Reuters)

«El Feinto», famille, nonchalance, échecs, talent... : portrait de Tanguy Ndombele, petit nouveau chez les Bleus

60 M€ avec 10M€ de bonus : tel est le prix payé par Tottenham pour arracher Tanguy Ndombele à l'OL. En octobre dernier, et pour ses premiers pas en Bleus, FF vous racontait l'histoire du milieu de terrain. Découvrez son portrait.

En explosant sous les couleurs d'Amiens et surtout de l'Olympique Lyonnais, Tanguy Ndombele ne s'attendait sûrement pas à une ascension aussi fulgurante. Aujourd'hui chez les Bleus, le talentueux milieu de terrain n'en demeure pas moins discret, comme lorsqu'il tapait le cuir sur les terrains d'Epinay.

«
Discret, tranquille, introverti...» Peu importe l'interlocuteur, ayant connu le môme de près comme de loin, l'adolescent ou le joueur en devenir, tous sont unanimes sur la personnalité de Tanguy Ndombele. Un bambin d'Epinay-sous-Sénart surdoué au foot, sans aucun doute, mais au tempérament complexe. Entre nonchalance, parfois, calme et rage de vaincre intérieure. «C'est la star de la ville, maintenant, raconte-t-on désormais dans la ville d'Essonne. Il est passé pour donner des maillots à Noël, il y avait tout le monde ! Petits, grands, tout le monde l'attendait. Et pour sa convocation en équipe de France, dans la ville, au marché, ça a créé une vraie émotion.» Tout n'a cependant pas été rose pour le jeune Tanguy, aujourd'hui 21 ans et indiscutable à l'Olympique Lyonnais. Les échecs, les rebonds, les réussites et les éloges rythment un parcours atypique. D'une famille pieuse - «les Ndombele vont tous les dimanches à la messe», dixit un proche -, le natif de Longjumeau a en effet presque tout connu. À commencer par l'évolution précoce d'un crack du ballon.

Tanguy Ndombele, vainqueur de la Coupe de Paris Île-de-France 2009-10 en U14. Source : archives Linas-Montlhéry. (D.R)

Mickaël Bertansetti, qui a côtoyé le joueur à l'ESA Linas-Montlhéry, son deuxième club, abonde sur l'enfance du jeune homme : «Partout où il allait, c'était “Ah, lui il est trop fort !” ou “Regardez ce joueur”. Et ses occupations, c'était 100% foot. Tanguy, c'est un gamin tranquille qui a grandi à Epinay, dans une ville un peu comme Les Ulis. Il baignait tout le temps dans le football, à jouer en bas de chez lui...» Même lorsque le temps ou l'heure ne s'y prêtent pas, le jeune Ndombele n'en démord pas. «C'était tout le temps le foot, enchaîne Bosso, son grand frère et aîné de la famille. À la console, on jouait à PES et uniquement au foot, même si on avait quelques jeux de voiture. Et dans le couloir, on s'installait des buts pour faire des “goal à goal” et dribbler.» Une vocation qui lui fera prendre le bus quotidien à 14 ans, pour quarante bornes de rêves et d'illusions jusqu'à tard le soir, en direction ou en retour des pelouses de Linas-Montlhéry, où il se révèle aux yeux des scouts hexagonaux.

Éducation et figures paternalistes

Avant ça, le petit Tanguy, fort de sa réputation locale, est déjà devenu l'homme providentiel des jeunes d'Epinay. «Il jouait numéro 10 et parfois même attaquant, se souvient Yoane Wissa, ami d'enfance issu des mêmes écoles de foot, Épinay puis Linas-Montlhéry, et désormais attaquant de Lorient en Ligue 2. Sa qualité première, c'était de pouvoir dribbler tout le monde, d'éliminer son adversaire. Il n'avait pas déjà cette faculté à la récupération. Et hors du terrain, quand vous le connaissez, c'est quelqu'un qui aime faire les blagues et être moqueur. On était ensemble à l'école à l'époque aussi. C'était un élève normal. Il ne cherchait pas les profs ou quoi, même s'il aimait bien bavarder (rires).» L'entourage est également important. Le papa, Alvaro, le suivait chaque week-end, n'hésitant pas à lui donner quelques conseils, comme lors d'une rencontre U15 en Coupe d'Essonne. Une figure paternelle que deviendra de plus en plus son grand frère Bosso, au fil du temps, lui aussi très discret et toujours protecteur.

«Il faut quelqu'un pour le pousser, aussi, c'est vrai» signale Roman Laspalles, ancien coéquipier du joueur à Guingamp. Pudique avec les “grands”, réputé bien installé sur ses lauriers et parfois peu enclin à communiquer, Tanguy Ndombele déplaît malgré lui à certains coaches, certains dirigeants. Laspalles argumente : «C'est quelqu'un de très discret, réservé. Il met du temps à s'ouvrir quand vous ne le connaissez pas.» «En Bretagne, ils n'avaient pas trop l'habitude d'avoir des profils nonchalants, un peu typique des joueurs de région parisienne, détaille de son côté Nordine Baaroun, de Montlhéry, acolyte très proche du cercle familial. Ça n'a vraiment pas plu à certains.» L'aventure est pourtant belle, sur le papier, avec un statut de vice-champion de France U17 et des qualités footballistiques évidentes. «Il arrivait à faire la différence par sa puissance et par son accélération sur les trois-quatre premiers mètres, une qualité qu'il a encore, se souvient Malo Rolland, gardien de cette génération dorée. Notre entraîneur Philippe Le Maire l'appelait “le beau bébé” et le chambrait sur sa puissance. Il s'enflammait à chaque frappe en disant : “oh la puissance de Ndombele !!!”» Beau bébé, mais aussi "El Feinto", surnom donné par ses potes chez les Rouge et Noir, qui le verront quitter les Côtes-d'Armor finalement très tôt.

La faute à quelques écarts nonchalants, sans jamais dévier vers l'irrespect ni l'insolence, et que même ses proches concèdent. Mais aussi au choix surprenant de l'EAG de ne pas le conserver... «Des fois, le coach lui disait : “Tanguy, tu joues en deux touches de balle.” Et lui n'écoutait pas, prenait le ballon, dribblait et marquait, narre Malo Rolland, désormais entraîneur des gardiens à la préformation bretonne. Juste pour prouver que le coach avait tort de le limiter. Il était discret mais il avait une grosse force de caractère. Quand il voulait, il était largement au-dessus du lot, mais à Guingamp, il était inconstant et il avait parfois cette attitude nonchalante.» Ses amis ne lui reprocheront jamais. Après tout, c'est leur Tanguy, il est comme il est. Et ça vaut bien mille pardons. Comme lorsque le «sacré beau bébé n'a pas de discipline alimentaire» et fait le yoyo avec la balance. Après son départ de Guingamp - beaucoup disent que le club ne l'a pas conservé, Ndombele confie en privé qu'il est parti de lui-même -, aussi, et des débuts compliqués à Amiens.

Laissé par le club picard peu après son arrivée, Tanguy Ndombele revient à Linas-Montlhéry, histoire de garder la forme et une once de positivité. «À 17 piges, les gamins sont fins et élancés. Lui, il était revenu pour s'entraîner et quand j'étais rentré dans les douches, j'avais vu qu'il avait une petite bedaine, on ne voyait pas trop les abdos... (rires) Donc je l'avais un peu piqué et chambré, en lui disant qu'il ne pouvait pas être pro sans faire attention...» Une tendance confirmée par Malo Rolland : «À la cantine, il aimait bien passer du temps à manger (rires) !» Parmi ceux qui poussent à une prise de conscience, les inconditionnels du cercle familial font passer le message. «Tanguy a mal vécu sa mise à l'écart, et quand il est revenu d'Amiens la première fois, il avait 7-8 kilos en trop, admet Nordine Baaroun. Il a fait un programme de remise en forme puis refait plusieurs essais. Mais que ce soit à Auxerre, à Valenciennes, à Angers ou à Niort, on lui disait encore qu'il avait du talent mais qu'il ne passerait jamais un cap. Je le prenais à l'arrêt de bus pour l'amener à la salle de muscu puis le ramener chez lui. Cette période, ça l'a vraiment blessé mais aussi forgé. Et au final, Amiens a voulu le reprendre. Nous, on lui a dit : “il faut que tu y retournes !”» Y retourner, pour encore espérer devenir professionnel, tandis qu'il voit à l'époque l'un de ses frères se lever à cinq heures du matin pour une grande chaîne de supermarché ; comme un rappel aux réalités de la vie "normale".

Entre ombre, lumière et sang-froid

Bien lui en a pris, puisqu'il explose aux yeux du monde professionnel au stade de la Licorne, son jardin trois saisons durant. Mis de côté, «les bavardages scolaires d'un élève lambda, ni premier de la classe ni dernier» ne sont désormais que des lointains souvenirs, alors que le jeune Ndombele est aussi testé quelques temps comme latéral droit ; ce qui lui servira par la suite pour mieux défendre. Sa gestuelle parfois nonchalante le suivra quant à elle toujours, telle une marque de fabrique. Mais n'empêche cependant pas le développement de son leadership. Technique, certes, et jamais vraiment démonstratif. Roman Laspalles : «Il ne prend pas trop la parole, n'a pas l'âme d'un capitaine mais discute avec tout le monde.» Et s'avère aussi bon camarade, à en croire son ex-coéquipier en équipe de France Espoirs Samuel Grandsir, aujourd'hui à Monaco : «C'est quelqu'un qui aime beaucoup rigoler. Et pour notre équipe, en Espoirs, c'était un joueur très important.» Loin des strass, des paillettes et des «coupes de cheveux de cinglés», comme aime à le dire Mickaël Bertansetti, Tanguy Ndombele a pourtant pris un grand bain de lumière.

«On lui disait qu'il avait du talent mais qu'il ne passerait jamais un cap»

«Les grands rendez-vous ? Il aborde cela très tranquillement, sans stress»

En effet, celui qui aime se ressourcer en famille et vit toujours chez maman lorsqu'il rentre au bercail est aujourd'hui devenu un milieu de terrain courtisé. Ses performances XXL en sont la principale cause. Surtout dans les grands rendez-vous, le nec plus ultra de sa jeune carrière restant ses matches au Parc des Princes et à l'Etihad Stadium. «Il aborde cela très tranquillement, sans stress, ne se prend pas la tête, aime jouer au foot, décrit Bosso Ndombele. Je l'ai vu avant le match contre City en allant chercher mes places, il était très tranquille. Pareil pour son premier match de Ligue 1, un Amiens-PSG au Parc, le jour de la présentation de Neymar. Il me disait “Il y a du monde, mais ça va”.» Force tranquille, il connaît désormais les joies de l'équipe de France, comme dans un rêve qui lui trottait dans le crâne depuis sa première paire de crampons. «Quand il a quelque chose en tête, il n'y a rien à faire avec Tanguy !», explique Nordine Baaroun. Clairefontaine, le môme devait sûrement s'y voir. Et notamment lorsque, petit, il s'abandonnait aux rêves d'un destin doré... Dans un bus de nuit ou un terrain de quartier. Au final, peu importe le chemin...

Antoine Bourlon