ronaldo (cristiano) (C.Liewig/L'Equipe)

Du «poney de cirque» au Ballon d'Or France Football : comment Manchester United a transformé Cristiano Ronaldo

C'est dans le nord de l'Angleterre, à force de travail, de confiance et de coups, que Cristiano Ronaldo, soliste inconstant, s'est peu à peu transformé en Ballon d'Or.

«Vous pouvez dépenser cent millions sur un joueur, mais rien n'équivaudra jamais à faire venir un jeune de dix-sept ou dix-huit ans et à le voir s'épanouir. Ça crée un lien particulier.» L'an passé, au moment d'évoquer pour FF le cinquième Ballon d'Or de Cristiano Ronaldo, Sir Alex Ferguson définissait ainsi sa fierté d'observer le chemin parcouru par son «gamin». «Ma grande satisfaction avec lui, c'est d'avoir vu un joueur arrivé de Madère et passé par le Sporting venir dans mon club, United, et devenir le joueur qu'il est aujourd'hui. C'est très gratifiant.» Il faut dire qu'entre le dribbleur compulsif débarqué dans le nord de l'Angleterre en août 2003 pour 17,5 millions d'euros, dans la foulée d'un récital en match amical face à ses futurs coéquipiers, et le champion assoiffé de buts parti au Real Madrid contre 96 millions six ans plus tard, le chemin a été long.

«There's only one Ronaldo.» Difficile pour le gamin ambitieux qu'est Cristiano Ronaldo de rêver meilleur accueil, ce 16 août 2003 pour ses grands débuts à Old Trafford face à Bolton. Tout juste transféré chez les Red Devils après une seule saison complète au Sporting CP, celui qui succède alors à David Beckham avec le mythique numéro 7 dans le dos assume et transforme, en trente minutes passées sur le terrain, un match un poil ennuyeux en orgie offensive (4-0). Une superbe bande-annonce pour la suite ? Oui et non. Car si les qualités techniques, la vitesse, l'explosivité et l'assurance de CR7 font souvent des différences, son incapacité à servir les intérêts de l'équipe plutôt que les siens, comme sa propension à accentuer les chutes après un contact, agacent supporters, observateurs... et coéquipiers. «Je crois qu'il était le genre de garçon qui veut se montrer en permanence, détaillait Ferguson. Il aimait faire des passements de jambes et possédait les défauts des joueurs de son âge dans sa sélection de passes, dans la manière de se comporter comme un homme, de centrer. (...) Ce qui l'a beaucoup aidé, c'est le comportement des anciens, les Rio Ferdinand, Ryan Giggs, Paul Scholes, Gary Neville... Chaque fois qu'il plongeait, ils l'asticotaient.»

«Il y a trop de show dans son jeu.» (Ruud van Nistelrooy, mai 2004)

Ruud van Nistelrooy, lui, est allé un peu plus loin. Quelques jours à peine après un succès en Cup face à Milwall (3-0) pour conclure la saison 2003-04, l'avant-centre néerlandais n'hésite pas à tancer publiquement son jeune partenaire, dont la qualité de centre ne lui convient que rarement : «Cristiano est très talentueux. Je le constate tous les jours à l'entraînement, mais il ne le montre pas en match. Il progresse mais il y a trop de show dans son jeu.» Ambiance. En 2006, les deux attaquants au caractère bien trempé en viennent même aux mains lors d'une séance d'entraînement, au cœur d'une période très sombre pour le futur comeilleur joueur du monde. Ronaldo, qui doit assumer et supporter une pression intense alors qu'il a à peine dépassé la vingtaine et qu'il vient de perdre son père, ne parvient pas à franchir le cap dans les grands rendez-vous. Les attentes dont grandissantes, les critiques sont acides, les tacles sont rugueux, et les nerfs de celui qui a hérité du sobriquet de «poney de cirque» aux quatre coins du Royaume lâchent régulièrement.

2006, du clin d'oeil au déclic

Côté stats, en revanche, le Portugais n'a toujours pas lâché la bride. Au bout de ses trois premières saisons avec Manchester United, il ne totalise "que" 27 buts en 137 matches, toutes compétitions confondues. Arrive alors la Coupe du monde 2006, et elle va changer la trajectoire et le destin de Cristiano Ronaldo. Tout part d'un clin d'œil, anodin ou pas, adressé à son banc après l'expulsion de son coéquipier Wayne Rooney lors d'un quart de finale tendu entre l'Angleterre et le Portugal. Un geste qui, associé à l'élimination des Three Lions aux tirs au but, choque l'opinion publique anglaise. Les tabloïds s'en donnent à cœur joie, les rumeurs de tensions avec Rooney fleurissent, comme sa prétendue réticence à revenir à Manchester. «Dans ce genre de situations, soit on révèle sa force de caractère, soit on s'effondre complètement et on ne se relève jamais», dira plus tard Ryan Giggs. La réponse va être plutôt rapide, et plutôt claire. De retour au centre d'entraînement de Carrington, c'est un Cristiano Ronaldo nouveau qui se présente. Plus déterminé que jamais.

«Il y a eu ce tournant, et il n'était alors plus question que de buts et de passes décisives.» (Rio Ferdinand)

«Physiquement, le jeune garçon s'était transformé en homme, expliquait il y a quelques mois Gary Neville, devenu consultant pour Sky Sports. On avait laissé un poids plume, et on récupérait un poids lourd. Ça lui a donné une puissance qu'il n'avait pas auparavant. » Mais parce que sans maîtrise, la puissance n'est rien, CR7 accompagne sa transformation physique d'un déclic psychologique décrit ainsi par Rio Ferdinand à Four Four Two : «Au départ, tout ce qui l'intéressait, c'était de se donner en spectacle, d'écouter les supporters s'enflammer quand il réussissait un geste technique. Et puis il y a eu ce tournant, et il n'était alors plus question que de buts et de passes décisives. Il est devenu l'homme qui changeait le cours d'une rencontre en notre faveur, de façon régulière, y compris dans les gros matches. Il a acquis cette maturité et ç'a été un déclic.»

Lors de sa première saison à MU, Ferguson avait mis en place un pari à 100 livres avec son poulain sur un total de dix buts à atteindre. Avant son deuxième puis son troisième exercices, la barre avait été fixée à quinze réalisations. À chaque fois, Ronaldo avait perdu sa mise (six, neuf puis douze buts), mais le technicien écossais avait refusé d'encaisser l'argent. Alors au cours de cet été 2006, le numéro 7 mancunien propose à son manager une mise à 400 livres... et atteint la quinzaine de buts dès le mois de février suivant. La mutation est entamée. Le soliste brillant et inconstant a laissé place à un attaquant polyvalent, précis, puissant et efficace. Désormais, Cristiano Ronaldo anticipe, observe, passe, sait se placer et se déplacer. Et il marque, beaucoup, à l'image d'une série de trois doublés consécutifs à la fin du mois de décembre 2006.

Des vidéos de Shearer et Henry pour parfaire sa finition

Sous la houlette de René Meulensteen, un des adjoints de Sir Alex Ferguson, CR7 étudie ce que la Premier League a connu de meilleur face au but, à savoir Alan Shearer et Thierry Henry, et travaille quotidiennement les multiples situations qui peuvent se présenter en match pour parfaire la palette du Portugais. S'il fallait pointer un match en particulier pour acter la naissance du Cristiano Ronaldo 2.0, ce serait ce quart de finale retour de Ligue des champions face à la Roma, le 10 avril 2007. Au cours d'une leçon collective (7-1), il inscrit ses deux premiers buts en C1 sous le maillot des Red Devils. Muet lors de ses vingt-six premières apparitions dans la compétition depuis son arrivée à Manchester, il empilera quinze buts lors des vingt-six suivantes... L'aventure s'arrête en demi-finales cette saison-là, mais Cristiano Ronaldo guide Manchester United jusqu'au titre de champion, et s'adjuge le trophée de joueur de l'année en Premier League.

Ce n'est qu'un début, car la saison 2007-08 marque l'avènement du buteur Ronaldo. Épanoui dans un système offensif mouvant, où Park Ji-sung, Carlos Tevez et Wayne Rooney l'accompagnent, l'attaquant portugais devient un prédateur à sang froid, qu'il évolue sur un côté ou dans l'axe, que la rencontre soit une affiche ou non, dans le jeu comme sur coup de pied arrêtés. «Désormais, sa principale qualité est la finition, note alors Micah Richards, défenseur de Manchester City, au micro de la BBC. Dès qu'il a une opportunité, il la saisit et c'est une vraie évolution par rapport aux saisons précédentes. Il avait l'habitude de beaucoup dribbler, mais ce n'est plus vraiment le cas. Au lieu de ça, il recherche la position idéale pour mieux transpercer les défenses.» Bilan ? Quarante-deux buts en quarante-neuf matches toutes compétitions confondues, un titre de champion d'Angleterre, de meilleur buteur de Premier League et de Ligue des champions, un Soulier d'Or européen, un nouveau trophée de joueur de la saison en Angleterre... Mais surtout, Cristiano Ronaldo remporte, à Moscou, sa première Ligue des champions au bout d'une finale incroyable face à Chelsea (1-1 a.p., t.a.b. à ), au cours de laquelle il marque de la tête avant de manquer un tir au but.

«C'est ici, avec Alex Ferguson, que j'ai commencé à croire que je pouvais gagner le Ballon d'Or» (Cristiano Ronaldo, le 2 décembre 2008)

Plus rien, désormais, ne s'oppose à sa gloire, pas même un Euro joué sur une jambe et une opération à la cheville droite qui le tient éloigné des terrains durant deux mois : le 2 décembre 2008, Cristiano Ronaldo devient le cinquante-troisième Ballon d'Or France Football en dominant outrageusement le scrutin. Et sans oublier de pointer ses nets progrès, cinq ans après son arrivée. «À Manchester, ma concentration a changé, confie-t-il à FF. Je suis devenu un gagneur. Ici, on doit tout gagner, toujours. J'ai commencé à ressentir la pression de gagner des matches, des trophées. Et c'est ici, avec Alex Ferguson, que j'ai commencé à croire que je pouvais gagner le Ballon d'Or. » C'est ce même Ferguson qui, l'été précédent, l'a convaincu de rester une saison supplémentaire à MU, malgré la cour assidue du Real Madrid et le désir du joueur de rejoindre la capitale espagnole.

Son ultime tour de piste avec les Red Devils a beau être moins dévastateur (vingt-six buts, une défaite en finale de la Ligue des champions face au Barça), Cristiano Ronaldo quitte Old Trafford la tête haute, adoubé, une nouvelle fois, par son entraîneur : «Sa saison 2008-09 a été remarquable. Il savait que je ne reviendrais pas sur ma promesse. Il a acquis une nouvelle dimension. Il se procurait trois ou quatre occasions par match. Sa concentration et son éthique de travail étaient éblouissantes.» Les supporters du Real ne tarderont pas à s'en rendre compte, eux aussi. Et au printemps 2013, c'est devant un Théâtre des Rêves ému et reconnaissant qu'il revient. Cette fois, la banderole est plus modeste : «Bienvenue à la maison Cristiano ! S'il te plaît, ne marque pas ce soir...» Évidemment, il a marqué. N'a pas célébré. Et Old Trafford a baissé la tête. Conscient du chemin parcouru par ce jeune garçon qui ne vivait que par le dribble devenu un immense champion jamais rassasié.

Cédric Chapuis