mendy (edouard) (F.Faugere/L'Equipe)

Du Havre à Reims en passant par l'OM et le chômage, Édouard Mendy se raconte : «Quand on est au chômage, on se dit qu'on ne va pas sortir de là»

Si le Stade de Reims est la quatrième défense de Ligue 1, il y est incontestablement pour quelque chose. À 26 ans, Édouard Mendy vit une sacrée première expérience dans l'élite. Mais pas de quoi, encore, satisfaire ce perfectionniste. Avec son cheminement particulier, entre chômage et l'OM, avant d'atterrir à Reims, il n'a pas vraiment envie de s'arrêter là.

«Neuf clean sheets en 19 matches, plusieurs parades marquantes : en un mot, comment avez-vous envie de juger votre première partie de saison très aboutie avec Reims ?
Satisfaisante.

Pas plus que ça ?
Non. Je vais tout essayer pour en faire autant, si ce n'est plus, en seconde partie de saison. Si c'est le cas, là on pourra employer d'autres mots. Pour le moment, à mi-chemin, c'est satisfaisant.

Pour une première saison en Ligue 1, c'est quand même pas mal jusque-là...
Oui, c'est pas mal. Comme l'équipe, je suis dans la continuité de ce qu'on a pu faire en Ligue 2 (NDLR : Reims a effectué une saison record en 2017-18, terminant largement champion). Même si la Ligue 1 est deux voire trois crans au-dessus. Ça fait plaisir, ça montre qu'on bosse et, surtout, qu'on progresse au fur et à mesure des semaines.

Votre réussite a-t-elle pu parfois vous surprendre ?
Non. À mon poste, il faut de la confiance, même s'il faut savoir la jauger. Avoir confiance en soi est important. C'est clair qu'il y a eu des moments où j'ai accompli de bonnes choses, et d'autres moins bonnes. Il faut vivre avec ce curseur au niveau de la confiance. Ce que je fais ne me surprend pas, car je bosse pour. Je sais qu'il ne faut pas lever le pied.

Lire : La fiche d'Édouard Mendy

«Je n'ai jamais connu ce moment-là, de me dire que je suis imbattable»

Parfois, se sent-on imbattable au point de se dire dans sa tête : "Ce soir, personne ne me marquera de but" ?
(Il sourit.) Je n'ai jamais connu ce moment-là, de me dire que je suis imbattable. C'est vrai qu'il y a des moments durant des rencontres où on est beaucoup sollicité, où on se sent mieux que d'autres. Mais sans jamais se dire "Aujourd'hui, ça ne va pas rentrer". Parce que c'est lorsque je vais me dire ça que je vais me faire surprendre.

Y a-t-il un match ou une parade qui a sonné pour vous comme une référence ?
J'ai bien aimé mon match contre Marseille. En dehors du fait que ça se jouait au Vélodrome, c'était bien de rejouer face à des anciens coéquipiers. Et le fait de ramener un point de là-bas (0-0). Sur cette phase aller, c'est le match que je retiens. Globalement, cela a vraiment été la découverte de la Ligue 1, en plus de la découverte de la sélection nationale (NDLR : avec le Sénégal). Avant, quand il y avait des trêves, on avait l'habitude de lever le pied à un entraînement pour récupérer. Là, j'étais parti en sélection, où il ne fallait pas baisser la concentration ni l'intensité. Je n'ai pas eu de réelle coupure. Avec, donc, six mois plein. Les vacances sont bien tombées.

Du coup, racontez-nous comment c'est de vivre six mois dans la peau d'un footballeur de haut niveau ?
C'est enrichissant, et complètement dans ce dans quoi je voulais être. Ça montre que je n'ai pas travaillé en vain. Je suis récompensé, même si ce n'est pas une fin en soi. Ça prouve les exigences du haut, voire très haut niveau. Il ne faut pas avoir de pépins, il faut faire attention sur et en dehors du terrain. C'est une vigilance de tous les instants.

Ça doit donner envie d'en voir encore plus...
Bien sûr. Ça ne peut qu'être encourageant et me conforter dans mon idée d'aller plus haut.

Précédemment, vous parliez de deux voire trois niveaux de plus entre la Ligue 1 et la Ligue 2. Quelles sont les véritables différences pour un gardien entre les deux divisions ?
Déjà au niveau des tirs. En Ligue 2, je ne vais pas dire que les joueurs frappent pour frapper, mais il y a moins de qualité dans la recherche de la précision, d'où on veut la mettre. Là, c'est souvent cadré, c'est plus fin techniquement. Ensuite, sur coups de pied arrêtés, c'est plus difficile pour intervenir car il y a de très bons tireurs. Mais c'est avec ça qu'on se met rapidement au niveau, et qu'on progresse.

Vous arrivez en Ligue 1 à 26 ans. Avez-vous pensé, par le passé, que l'élite allait se refuser à vous ?
Même si on a la confiance en soi, parfois il y a des périodes de doute, c'est normal. Personnellement, vu mon parcours, c'est clair qu'il y a des moments où j'ai douté. Grâce à mes proches, j'ai su garder confiance et continuer à travailler pour y accéder. Quand on est au chômage, on se dit qu'on ne va pas sortir de là.

Vous êtes pourtant passé par Le Havre, école assez réputée pour former et sortir de bons gardiens...
Même si je jouais, le week-end, dans le club d'à côté, j'étais toute la semaine à l'entraînement au HAC. J'ai eu une formation tip-top là-bas. Quand les gens entendent Le Havre, ils se disent tout de suite "bon gardien, ça va être facile". Mais j'ai connu de bons gardiens qui ne jouent même pas en CFA aujourd'hui...

«Personnellement, vu mon parcours, c'est clair qu'il y a des moments où j'ai douté. Grâce à mes proches, j'ai su garder confiance et continuer à travailler pour y accéder. Quand on est au chômage, on se dit qu'on ne va pas sortir de là.»

Parlons présent : désormais, quelle peut-être l'ambition rémoise pour la suite de la saison ?
Le maintien. On est dans la première partie de tableau, on se concentre sur nous, on est satisfait, et on aimerait bien ne pas se maintenir à la 38e journée.

Entre vous, est-ce que vous parlez pourquoi pas d'un objectif de top 10 ?
Non, c'est encore hyper loin. On se projette seulement sur les prochaines échéances. C'est primordial de bien figurer d'abord face à Lyon. Ensuite, on verra !

Pour bien figurer, il vous faudra conserver ce bloc défensif qui fait la force de cette équipe. Un bloc très costaud...
Oui, c'est vraiment très costaud. Au départ, le bon travail de ce bloc est effectué par nos attaquants. C'est clair qu'on est difficiles à manœuvrer. C'est ce qui fait qu'on est bien placé au classement. Depuis que le coach Guion est à la tête de l'équipe, avec le staff, ils ont mis en place un plan de jeu et une identité à cette équipe. Tout le monde y adhère. Et ça donne nos résultats. À nous de poursuivre dans ce sens pour continuer à progresser.

Votre équipe a également un vestiaire réputé pour vivre très bien. Quel est votre rôle à l'intérieur ?
Avec mes autres collègues cadres, j'essaie de faire vivre ce vestiaire du mieux que je peux. Je ne me mets pas en avant pour autant. Je me fonds dans la masse, j'aime bien échanger avec mes partenaires. Depuis la saison dernière, quelque chose de fort s'est créé dans ce groupe. On est une vraie famille. Quand je vais à l'entraînement, j'ai la banane.

«Marseille ? Une libération. Là-bas, j'ai vu ce qu'était la cour des grands»

Où se situe le déclic de votre carrière ?
À Marseille (2015). L'entraîneur de la CFA cherchait un jeune gardien pour intégrer le groupe pro. Il connaissait un joueur qui évoluait à mes côtés, à Cherbourg, Il lui a parlé de moi. Je sortais du chômage. J'étais en train d'hésiter entre deux clubs de CFA. Mais Marseille m'a appelé, et j'ai tout de suite sauté dessus.

On imagine votre libération...
Oui, c'est complètement ça. Une libération. Là-bas, j'ai vu ce qu'était la cour des grands. J'ai vu des joueurs avec de très grandes carrières, j'ai pu évoluer et progresser à leurs côtés. C'est vraiment là où j'ai pris totalement conscience que je pouvais y arriver. J'étais avec eux, je ne me sentais pas en dessous et j'avais une marge de progression. Je m'entraînais avec (Steve) Mandanda, (Yohann) Pelé et (Florian) Escales.

Qu'avez-vous par exemple pu apprendre au contact de Mandanda ?
Pour tout gardien, il est une référence. En Ligue 1, sa réputation n'est plus à faire. J'ai beaucoup appris en le regardant sur sa ligne, avec sa défense, ou avec son leadership.

Revenons quelques instants sur votre période d'un an de chômage. Y a-t-il un moment qui a été plus compliqué que d'autres ?
Chaque semaine, le moment le plus dur était le vendredi lorsque le coach de la réserve du Havre, à la veille du match, donnait son groupe pour le samedi. Automatiquement, je savais que mon nom n'allait pas sortir puisque je n'étais là que pour les entraînements, je n'étais pas licencié. On voyait que le groupe entrait dans une concentration, en se projetant sur le match. Moi, il me manquait ça. C'est là que ça devenait dur.

Finalement, qu'aviez-vous besoin pour qu'un club d'un niveau supérieur vous fasse confiance ?
Chacun a son parcours. Après mes années au Havre, j'ai signé à Cherbourg, où ça s'est très bien passé. J'ai ensuite voulu aller en Angleterre, mais cela ne s'est pas fait. Je me suis retrouvé au chômage. Je me suis accroché et j'ai cru en moi. Mon chemin a pris un peu plus de temps mais ça m'a permis de relativiser sur beaucoup de choses, notamment la vie en général, et de redescendre sur terre. Tout en étant un peu plus mature plus rapidement et développer le côté leader que je peux avoir. Au final, tout ça me sert encore plus aujourd'hui, et c'est peut-être pour ça que j'ai mis moins de temps que certains à m'adapter à la Ligue 1.

«C'est clair qu'on est difficiles à manoeuvrer.»

L'été dernier, votre nom avait été souvent cité pour partir en Angleterre. Ç'a dû être flatteur pour vous après tout ce que vous avez vécu...
Oui, voir son nom sur les tablettes de certains clubs fait plaisir. Ça montre qu'on est performant. Ça encourage à continuer. Tout en sachant que je voulais rester à Reims pour jouer en Ligue 1, c'était clair. Si j'en suis là, je sais très bien que c'est grâce à mes performances mais aussi au fait que le Stade de Reims a cru en moi. Comme Marseille avant. Je suis quelqu'un de très famille, j'aime les rapports humains. À Reims, j'ai trouvé ça. C'était important d'effectuer cette saison à Reims.»

Timothé Crépin