upamecano (dayot) (S.Boue/L'Equipe)

Dayot Upamecano (RB Leipzig), la douce puissance

Puissance, travail, détermination, et douceur. Si Dayot Upamecano avait une devise, celle-ci pourrait bien parfaitement lui correspondre. Car avant de devenir le futur de l'équipe de France, le défenseur du RB Leipzig a sué et s'est nourri d'échecs et épreuves pour ne rien lâcher. FF vous raconte son parcours avec ceux qui l'ont côtoyé.

C'est Noël à Evreux. En ce début de matinée du 25 décembre 2013, la cité ébroïcienne et son quartier de La Madeleine n'ont pas encore vraiment émergé après le réveillon de la veille. Pourtant, en contrebas, sur le stade entouré d'une piste d'athlétisme, on peut deviner la silhouette d'un jeune homme en train d'enchaîner les tours. Dayot Upamecano, 15 piges, est déjà à l'entraînement. «Il m'appelle le matin, à 8 heures, et me dit qu'il faut qu'on aille courir. Il pleuvait énormément. Il courait sous la pluie. Moi, j'étais sous la tribune. On a dû rester deux heures. En plus, il revenait de blessure. Le kiné venait de l'autoriser à retourner courir.» Impossible de dire non pour Vincent Mendy, un des formateurs d'Upamecano à Evreux, ville d'origine du défenseur, devant la détermination de son poulain. Le souvenir est le même pour Romaric Bultel, autre formateur très proche de Dayot. «On s'est retrouvé un 31 décembre dans la neige... C'était un mordu.» «Il était déterminé, on ne pouvait pas le lâcher», prolonge Mendy.

Angers, premières foulées

L'histoire de Dayotchanculle Upamecano avec le ballon rond démarre à Angers. Dayotchanculle, prénom donné par ses parents pour rendre hommage à un arrière-grand-père, roi d'un village en Guinée-Bissau, d'où est originaire sa famille. Nous sommes en 2004. Du côté du club de la Vaillante, Claude Gomis se rappelle d'un jeune à l'écoute «qui prenait du plaisir, avec, déjà, des aptitudes physiques et dans la lecture du jeu». «Qu'est-ce qu'il cavalait, promet Emmanuel Charrier, éducateur alors que Dayot est en poussin. Il faisait une tête de plus que tout le monde. Il avait déjà une certaine motricité, il courait très, très vite.» Placé au milieu ou en attaque par son entraîneur, Upamecano se distingue. «Quand il s'agissait de dribbler, c'était inné, poursuit Charrier. Avec un crochet, puis une accélération foudroyante. Et une grosse frappe de balle...» Et des entraînements qui se poursuivaient pendant des heures et des heures dans le quartier de Monplaisir et les matches sur la petite place, avec deux bancs en guise de buts.

Retour à Evreux en 2007 pour Dayot Upamecano. Ses parents séparés, il habite davantage chez sa maman, dont la maison n'est qu'à cent mètres du stade. Une passerelle à traverser et le Dayot est sur place. Avec, depuis sa fenêtre, la vue sur le stade. Les rêves et les ambitions déjà plein la tête. Quoique. «A un moment donné, il ne venait plus à l'entraînement, raconte Moustapha Diatta, partenaire de l'époque à Evreux. Je l'avais croisé chez Carrefour et je lui ai dit de revenir, qu'on avait une bonne équipe, qu'on s'entendait tous bien. Quand on grandit en quartier, c'est le seul endroit où on peut aller s'aérer et éviter de tomber dans certaines choses qui pourront porter préjudice. Cela m'a marqué, parce qu'il était vraiment prêt à arrêter le foot. Pour lui, ce n'était pas trop sérieux. Il faisait du foot parce qu'il aimait ça, mais il ne le voyait pas comme quelque chose qui pourrait l'amener là où il est aujourd'hui.» L'histoire démarre véritablement chez les U13, donc. Mais en douceur. «A ce moment, on ne se disait pas : "Il y a quelque chose, c'est un crack", avoue Romaric Bultel. On se disait principalement que c'était un très bon garçon. Une bouille d'ange. Serviable. Très introverti. Super discret, qui n'osait pas spécialement prendre la parole. Mais toujours le sourire ravageur.»

«Il était vraiment prêt à arrêter le foot. Pour lui, ce n'était pas trop sérieux. Il faisait du foot parce qu'il aimait ça, mais il ne le voyait pas comme quelque chose qui pourrait l'amener là où il est aujourd'hui.»

Dayot Upamecano (en haut, sur la droite, avec ses tresses), époque Evreux.

Foot à onze libérateur, city stade et Ousmane Dembélé

Sur le terrain, le jeune Dayot, «bon soldat, qui écoutait et qui tiltait vite» (Bultel), va en fait connaître un virage déterminant en passant du foot à neuf au foot à onze. «L'intégration de ce foot à onze a été plus facile pour lui, continue Bultel. Il avait beaucoup moins de retenue et avait pu s'exprimer sur de plus grands espaces. Il avait besoin de lâcher les chevaux. Cela a été beaucoup plus facile pour lui.» La progression va être exponentielle. Grâce aux entraînements et aux matches, oui, mais pas que. Sur le city stade du quartier, les affrontements sont disputés. «Un petit playground avec quatre buts, détaille Eder Verissimo, partenaire d'adolescence et adversaire sur le bitume avec notamment Rafik Guitane, l'actuel joueur du Stade Rennais, ou encore un certain Ousmane Dembélé. Chacun protégeait son but. Il fallait se donner à 100%. Car une fois que tu prends un but, tu sors et quelqu'un prend ta place. Cela forge le caractère.»

Les face-à-face durent parfois des heures et des heures. Jusqu'à rentrer à la maison alors que 22 heures est passé. «Il y avait du niveau, rajoute Verissimo. Physiquement, il fallait être bon, savoir défendre et attaquer. On était plus fatigués après ces matches-là qu'après des entraînements. Dayot était très fort.» Et de résumer, finalement, l'adolescence de ce groupe-là : «On était soit au foot, soit au city stade, soit à l'école.» Et même à l'école, Dayot Upamecano se signale par le football comme cette fois où il est devenu champion de France UNSS. «Il était tout seul derrière, rembobine Verissimo. On était trois attaquants. Il nous a fait gagner la finale.» «Ils étaient tous scolarisés dans le même établissement, enchaîne Romaric Bultel. Un professeur me disait parfois : "Vous savez, vos garçons sont super adorables, mais scolairement..." Je me rappelle leur avoir mis une cartouche. A un moment, c'était soit la scolarité, soit on arrête le foot. Pour eux, c'était le K-O. Dayot, un peu tête en l'air, s'était retrouvé là-dedans.»

En revanche, dès que le terrain est là, la concentration est maximale, le potentiel, énorme : «Il n'était pas que grand et longiligne, techniquement, c'était raffiné. Par la force des choses, comme il s'exprimait mieux et qu'on voyait un potentiel monstre, on s'est permis de l'utiliser à différents postes, promet Romaric Bultel. Pour avoir un complément de formation, voir autre chose, prendre des ballons dans d'autres zones. Des fois, c'était au milieu, pour toucher un maximum de ballons, être dans la gestion des premiers duels aériens.» Et parfois, c'était même en attaque. Avec autant de réussite. «Il était tellement à l'aise qu'il faisait aussi des différences. Il était déjà complet. A chaque fois qu'on l'a mis attaquant, il a marqué. Des fois, on le faisait pour son bien, mais aussi parfois pour débloquer des situations.» Mais c'est bien en défense que Dayot Upamecano grandit véritablement. Lui dont la référence de l'époque se nomme alors Sergio Ramos. «A l'entraînement, lui c'était Ramos, moi j'étais Zlatan, rigole Vincent Mendy. Maintenant, je ne lui dis plus que c'est Ramos, c'est Upamecano ! Il rigole parce qu'il est modeste.»

«Il voulait être quelqu'un de vrai»

Tête en l'air, il pouvait même l'être pour le foot. «Des fois, on oubliait de le réveiller pour qu'il aille jouer, il pleurait, il ne parlait pas», sourit Eduardo, le beau-père. Vincent Mendy déterre un de ses nombreux souvenirs. «On avait match un dimanche. Il a dû jouer toute la soirée à la console. Il ne s'est pas réveillé. Je suis monté frapper à la porte, j'étais un peu fâché. Il faisait souvent des tresses sur sa tête, il avait la moitié de la tête tressée. Il disait qu'il ne pouvait pas y aller comme ça. J'ai dit tant pis. Dans le vestiaire tout le monde rigolait. Je lui ai dit que s'il faisait un bon match, je le laisserai ne pas venir manger avec nous et qu'il irait finir ses tresses. Il avait fait un super match et sa mère lui avait terminé.» Une maman qu'il n'hésite pas à vite rejoindre après une rencontre à domicile, histoire de lui donner un coup de main pour ranger le stand du marché dominical. «Je devais y être à 7 heures, narre sa mère, Ghislaine, qui vendait, tout en tenant un stand de coiffure. Même s'il avait foot, il me rejoignait pour installer. Il allait acheter le petit déjeuner et il revenait ensuite après son match. Dans mon travail, à la maison, dans les tâches ménagères, il m'aidait. Il voulait être quelqu'un de vrai.»

«A l'entraînement, lui c'était Ramos, moi j'étais Zlatan. Maintenant, je ne lui dis plus que c'est Ramos, c'est Upamecano ! Il rigole parce qu'il est modeste.»

Foudroyant sur le terrain, très en retrait en dehors. A Valenciennes, on va clairement s'en rendre compte. Franck Triqueneaux se souvient très bien d'un détail pour l'illustrer : «Il était en décalage complet par rapport aux autres. Il regardait des dessins animés sur sa chaîne préférée : Tiji. Par contre, sur le terrain, c'était complètement différent. Il dégageait un leadership naturel dans le jeu. Un petit garçon en dehors puis un athlète incroyable sur le terrain. Lui, son plaisir, c'était d'être là. Vous lui aurez proposé de s'entraîner dix heures par jour, il se serait entraîné dix heures par jour.» Dayot Upamecano est Valenciennois depuis à peine quelques semaines que son entraîneur le convoque pour fixer des objectifs individuels pour la saison en cours. «On leur donnait une feuille pour réfléchir et on en discutait en entretien, détaille Triqueneaux. C'est le seul joueur que j'ai connu qui m'a dit : "Je veux jouer tous les matches en entier." Son plaisir, c'était jouer, jouer, jouer, jouer, jouer.» Et d'ajouter : «Cela pouvait faire peur parce que lorsqu'on l'a vu devant Tiji, on s'est dit qu'on avait un produit brut, mais on se demandait si on allait pouvoir le faire évoluer. Ce qui était marquant, c'était sa différence de capacité d'apprentissage et de maturité entre ce qu'il était dans la vie et ce qu'il était capable de faire sur un terrain de foot. C'était très surprenant.»

Upamecano (au centre, debout) lors d'un succès en Coupe de Normandie avec Evreux.

«Mais qu'est-ce qu'il fout là ?»

Pourtant, après quatre ans à Evreux, l'heure était peut-être venue de voir plus loin pour avancer. «Il avait besoin de se canaliser, souligne Romaric Bultel, un besoin de réflexion et de culture tactique parce qu'étant plus athlétique, plus véloce, il abusait un peu parfois de sa vitesse, de sa puissance dans sa gestion défensive de la profondeur, du duel.»

En 2013, Eder Verissimo est repéré par Valenciennes qui l'invite à faire un essai. Conscients des qualités de leur joueur, les formateurs ébroïciens proposent également que Dayot Upamecano se joigne aux tests. «Une détection presque de dernière minute, s'étonne encore Franck Triqueneaux, ancien formateur dans le Hainaut. Il nous manquait un ou deux joueurs à des postes précis. Dayot avait été éblouissant.» «Hors norme, prolonge Dominique Bijotat, autre entraîneur au VAFC. Il a dominé tous les joueurs.» Quand Frédéric Zago, actuel directeur du centre de formation de l'AJ Auxerre, se dit même : «"Mais qu'est-ce qu'il fout là ?" Cela nous paraissait improbable que ce gamin soit encore à Evreux, qu'il n'ait pas été encore vu, et qu'on puisse, nous, avoir accès à ce joueur. On était un peu surpris de la qualité.» La convention est signée. Upamecano quitte son Eure pour vivre son rêve. «Il n'y croyait pas une seule seconde, sourit Romaric Bultel. Il était heureux, comme on a rarement vu des gamins. Sur le trajet pour aller à Valenciennes, il avait la banane, alors que ce n'était pas forcément son habitude.»

«Il était en décalage complet par rapport aux autres. Il regardait des dessins animés sur sa chaîne préférée : Tiji. Par contre, sur le terrain, c'était complètement différent. Il dégageait un leadership naturel dans le jeu. Un petit garçon en dehors puis un athlète incroyable sur le terrain.»

C'est aussi ça qui a fait la réussite de Dayot Upamecano : encaisser les échecs, les difficultés, mais s'en servir pour aller plus haut. Eder Verissimo, que les formateurs du VAFC avaient pris pour le frère de Dayot, le nom d'Eder et le prénom du père d'Upamecano étant le même (de quoi faire sourire les deux compères), rappelle ce moment où Dayot n'avait pas été sélectionné dans l'équipe de Normandie alors que les qualités étaient flagrantes. Même chose, donc, pour cette dyslexie. Olivier Bijotat : «Il a montré un investissement total. Sa soif d'apprendre était colossale. Il était en face de vous, il captait tous vos conseils avec les yeux grands ouverts, la bouche un peu aussi, comme pour dire : "Amenez-moi des choses, je vais les ingurgiter, les avaler." Un appétit d'ogre. C'était une force de la nature, avec une joie de jouer. Le football était son moteur de fonctionnement.» Une puissance mêlée à une douceur. «C'est une crème, conte encore Bijotat. C'est un peu l'image de l'ours super affectif. Il était d'une douceur dans ses échanges avec ses camarades et avec le staff. Un petit peu contraire par rapport à son gabarit. C'était limite inimaginable qu'un garçon aussi imposant physiquement soit aussi doux dans ses relations.»

Upamecano, époque Salzbourg. (JFK/EXPA/PRESSE SPORTS/PRESSE SPORTS)

Une dyslexie pénalisante

Pourtant, si le travail sur le terrain se poursuit, l'équipe de formateurs du VAFC comprend qu'il va aussi falloir accompagner leur jeune pépite en dehors. Et pour cause, le jeune Dayot souffre de dyslexie depuis son plus jeune âge. Ghislaine, la maman de Dayot, raconte : «A 4 ans, on avait du mal à comprendre ce qu'il disait vraiment. Il n'arrivait pas à sortir ses mots. C'etait quelque chose de très compliqué, cela le dérangeait énormément. Il a pris du retard scolairement mais il n'a pas lâché, car il voulait réussir de tous les cotés.» «On y allait doucement parce qu'on sentait qu'il y avait un certain complexe», poursuit Franck Triqueneaux. Direction l'orthophoniste pendant de nombreux lundis. Un souci de langage qui pouvait donc expliquer cette extrême timidité et certaines difficultés à s'exprimer. «Avec ses camarades, il ne l'était pas, c'était le bon blagueur. Mais avec les adultes, il était peut-être un peu plus en difficulté, reconnaît Romaric Bultel. Avec un bégaiement un peu plus prononcé. Mais cela avait plutôt son charme.» «On a fait un gros travail au niveau construction de personnalité, de sa scolarité, de sa vie, admet Olivier Bijotat. Les séances d'orthophonistes l'ont considérablement fait mûrir. Il a ressenti qu'on s'occupait de lui. La dyslexie était un vrai souci. Cela l'amenait à avoir un temps en plus de réflexion. Ce n'était pas un handicap mais un seuil de difficulté supplémentaire.»

Notamment sur le plan scolaire où le jeune Dayot prend du retard. Fière d'avoir conservé une feuille où son ancien élève avait inscrit son nom et son prénom («En rigolant, je lui disais que ce truc allait valoir de l'or si un jour il devenait une vedette»), Anne Dehove, la professeure de maths de la promo de Dayot, s'est prise d'affection pour lui. Même si elle attend encore un devoir... «Quand il partait en sélection, on me disait qu'il fallait que je lui donne du travail... Il ne me l'a jamais rendu, sourit-elle, reconnaissant que Upamecano n'était pas son meilleur élément. Sa volonté, c'était de faire du foot avant de faire des maths... Vous savez, certains étaient un peu du genre à dire "Nous, on est footballeurs". Lui, non. Il restait posé, il ne s'emballait pas. Il était très discipliné, modeste, très serviable. S'il a réussi, c'est parce qu'il avait son caractère posé.» La professeure avait même donné un petit coup de pouce à Upamecano. «Comme il partait en sélection, il ne pouvait pas passer un examen. On s'est arrangés pour qu'il obtienne un diplôme. Il n'aurait peut-être pas eu la mention très bien. Mais il avait quand même cette envie d'avoir cette reconnaissance.»

En cours de maths, la professeure Dehove tentait d'intéresser ses jeunes élèves avec des exercices parlant de ballon rond.

«Sa soif d'apprendre était colossale. Il était en face de vous, il captait tous vos conseils avec les yeux grands ouverts, la bouche un peu aussi, comme pour dire : "Amenez-moi des choses, je vais les ingurgiter, les avaler." Un appétit d'ogre.»

«Si je réussis, la première chose que je ferais, c'est d'essayer d'aider ma mère»

Puissance, douceur... mais aussi, et surtout, détermination. «A la suite d'un match de Ligue des champions qu'il voyait au centre de formation, il se projetait déjà avec la volonté de devenir un jour un joueur qui disputerait un match de C1, sourit Bijotat, il avait raison d'y penser.» Alors quand Frédéric Zago lui a fait comprendre qu'il pourrait peut-être intégrer les équipes de France de jeunes, les yeux se sont illuminés de nouveau. «A partir du moment où il a eu ce message, il a tout fait pour y arriver», reconnaît Vincent Mendy. La mission est lancée. Jean-Claude Guintini le convoque en janvier 2014 chez les U16 pour la Aegean Cup en Turquie. Upamecano termine meilleur défenseur. «Qu'est-ce qu'on a pu être fier, lui le premier, raconte encore Mendy concernant l'arrivée de son poulain chez les jeunes Bleus. C'était son rêve.» «Plus il rentrait de sélection, plus il était souriant», souligne même Anne Dehove, la prof de maths. Les objectifs deviennent alors nombreux dans sa tête : «Il me disait : "De toute façon, si je réussis, la première chose que je ferais, c'est d'essayer d'aider ma mère au maximum." C'est ce qu'il a fait et ce qu'il fait encore aujourd'hui», applaudit Vincent Mendy. Il accélère, encore et encore. Alors que VA l'avait fait signer avec une simple convention, le club ne met pas quatre mois à renégocier pour lui proposer un contrat aspirant, histoire de le sécuriser. «Au bout de deux matches, on a vu qu'il n'avait rien à faire avec les U16, narre Franck Triqueneaux. Il est passé avec les U17 nationaux.» «Intégrer VA lui a fait un grand bien, assure Romaric Bultel. En étant en permanence surclassé, cela a été un avantage.»

Valenciennes polit alors son joyau en le plaçant par exemple sur l'axe gauche de la défense pour travailler son pied faible ou apporter le petit détail supplémentaire. Olivier Bijotat : «Le vendredi, je le faisais travailler devant le but pour vraiment affiner sa technique et surtout sa fréquence et sa maîtrise d'appui.» Dans l'idée d'un Upamecano bosseur, Frédéric Zago évoque l'envie de ne pas se servir en priorité de son potentiel athlétique, sa qualité première, «il a essayé de travailler sur ses lacunes plutôt que de mettre ses qualités en avant.» Tout en acquérant également une éthique de travail hors terrain. «Il a découvert les exigences du haut niveau. Avec la nécessité de prendre soin de son corps, raconte encore Bijotat, au sujet de plusieurs blessures contractées à VA. Il fallait bichonner son corps. Il a découvert la nécessite de porter beaucoup d'attention à sa santé.»

Mais quand la machine était au point, pas grand-chose ne pouvait l'arrêter. «Balle au pied, quand on le voyait partir dans un rush..., détaille Bijotat. Il était tellement inspiré qu'il se disait, sur certaines actions, qu'il allait devenir un véritable attaquant. Il traversait facilement cinquante mètres.» «Il a pris confiance en lui, il a mûri et a commencé à s'exprimer, admire Triqueneaux. Il dégageait tellement de choses sur le plan sportif. Une puissance incroyable. Quelqu'un qui l'aurait vu en dehors n'aurait jamais imaginé avoir à faire à un joueur comme ça.» Finalement, c'est Frédéric Zago qui résume le tout : «Sur le terrain, c'était un monsieur.»

«Il avait besoin d'un certain amour, d'une certaine affection», confirme Peter Zeidler qui le lance très vite en amical, face au Bayer Leverkusen. «16 ans et demi, et il avait fait un super match, avec son sens de l'anticipation. Il voyait déjà là où la passe de l'adversaire allait arriver. Le public se demandait pourquoi il était toujours au bon endroit ! Je l'aurais bien pris en équipe première (pour la saison), mais, physiquement, ce n'était pas encore bon. Il fallait faire cette athlétisation, que le corps soit prêt pour cette intensité.» Upamecano démarre donc avec l'équipe de Liefering (D2), club-satellite de la firme. S'il se met petit à petit à l'allemand, Upamecano se rapproche surtout de Diadié Samassekou et Dimitri Oberlin, tous francophones. «On habitait à cinq minutes l'un de l'autre, raconte Oberlin, qui appartient au FC Bâle. On passait beaucoup de temps ensemble, surtout chez moi.» Avec également Naby Keita, le grand frère du trio, et l'importance de Mustapha Mesloub, chargé de l'intégration des petits nouveaux. Plus âgé que le dernier arrivé, le duo Samassekou-Oberlin comprend qu'ils ont affaire à du solide en la personne du jeune Dayot. «Nous, on descendait avec Liefering, poursuit Oberlin. Il n'y en avait qu'un qui pouvait rester avec les pros, et c'était souvent Dayot. On lui disait : "Mais toi, tu es le boss ici ! Tu as quel genre de contrat ?"» Les mots du natif de Yaoundé au Cameroun se rapprochent de ceux qui ont connu Upamecano à Evreux au sujet de petits échecs qui le font mûrir. «Quand il n'était pas convoqué (avec l'équipe), tu savais que ça le touchait un peu. Mais il disait : "La semaine prochaine, ils vont voir, t'inquiètes." Tu te dis qu'il a 16 ans et tu demandes ce qu'il raconte. Il savait ce qu'il voulait. Mais cette confiance, toujours là, c'est ça aussi que je respecte chez lui.»

Un transfert rocambolesque

Etonné d'être seul à pouvoir l'attirer en 2013, Valenciennes n'est plus vraiment isolé concernant Dayot Upamecano deux ans plus tard. Illustration lors de ce match à Drancy, en région parisienne, où Franck Triqueneaux avoue : «Il y avait tous les clubs ! Avec les scouts numéros 1 : Arsenal avec (Gilles) Grimandi, Manchester United, les deux Milan, la Juve. Autour du terrain, il y avait plus de recruteurs que de parents de joueurs.»

Sur la corde raide financièrement, Valenciennes n'a pas le choix : il lui faut se séparer de Dayot Upamecano pour renflouer ses fragiles caisses. S'il appréciait beaucoup Manchester United durant son enfance, le jeune défenseur, pas encore 17 ans, est proche de rejoindre les Red Devils. Nous sommes à la toute fin du mercato d'hiver 2015. Upamecano se rend même dans le nord de l'Angleterre pour visiter son futur club. L'accord tourne autour du million d'euros. L'affaire ne se fait finalement pas.

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A l'été, les hostilités reprennent pour un transfert qui prend une tournure rocambolesque. «Il était pressenti à Manchester United, nous dit-on. C'était fait avec la maman. Au dernier moment, il y a eu l'apparition du papa avec des agents qui voulaient le conduire vers le Bayern.» «Ils les ont mis de force avec sa mère dans un taxi, dévoile Franck Triqueneaux. Ils sont partis dans un autre club. Dayot, son choix premier, c'était d'aller à Manchester United.» Les explications sont musclées. Finalement, malgré de nombreuses convoitises comme celles aussi de l'OM et d'un Marcelo Bielsa fan du joueur, Upamecano prend la direction de Salzbourg qui offre plus de deux millions d'euros. Mais à l'arrivée en Autriche, tout reste incertain. Entraîneur du Red Bull Salzbourg, Peter Zeidler est en stage avec ses joueurs à plus d'une heure de route du siège. Le téléphone sonne. «Le directeur sportif m'appelle et me dit qu'il faut que je vienne tout de suite, qu'il y avait un truc important, que je devais venir traduire. C'était pour Dayot.» Passé par Tours entre 2011 et 2012, lui qui adore parler français, le coach allemand débarque pour rassurer. «Il était avec deux agents, poursuit Zeidler. D'autres agents étaient à Munich, à une heure de Salzbourg. On m'a dit qu'il fallait que j'arrive à les convaincre pour qu'ils restent là. Sinon, Dayot serait parti à Munich.» L'affaire est bouclée pour 2,2 millions d'euros.

"Die Maschine" n'a le temps que de disputer dix-sept matches de D1 autrichienne qu'il rejoint Leipzig dès janvier 2017. Le chemin était prévu. Mais peut-être pas aussi rapidement. Première titularisation dès février face à Hambourg. Après une entame de match catastrophique (0-2 après 24 minutes, avec un Upamecano pas à son meilleur), il est rappelé dès la 31e minute sur le banc pour un changement tactique. Bienvenue chez les grands. «Quand il est arrivé à Leipzig, il s'est rendu compte que, là, ça ne rigolait plus, tranche Dimitri Oberlin. Je pense qu'il y a eu en lui une prise de décision concrète de ce qu'il voulait faire de sa carrière. En Bundesliga, tu sens que si tu dors une semaine, on peut te prendre ta place.» Encore une fois, Upamecano se nourrit de cet apprentissage pour voir plus haut. International U19 à son arrivée en Allemagne, il saute une classe pour se pointer directement chez les Espoirs de Sylvain Ripoll, qui ne peut plus s'en passer. «Il est d'une puissance terrible dans ses courses, dans ses sécurisations d'espaces, dans ses impacts dans le duel», loue l'ancien coach de Lorient qui a également remarqué un caractère discret en dehors. «C'est une force tranquille. Sous cette carapace de timidité se cache quelqu'un qui aime partager, rigoler. Il est très intéressant quand on arrive à discuter avec lui.»

«Au niveau de Valenciennes, ils sont allés au plus offrant, continue cette source. Sans tenir compte forcément de l'aspect humain que Dayot avait exprimé. Il y avait une necéssite de récupérer le plus d'argent.» «C'était la surenchère, regrette même Triqueneaux. Certaines personnes ont tout fait pour empêcher le joueur et la famille de décider de la destination. En essayant d'influencer uniquement par l'aspect financier.» Avec, en filigrane, le regret de n'avoir pas pu voir ce talent sous les couleurs de l'équipe pro du VAFC. Club qui serait certainement tombé bien bas sans ce deal. Si ce transfert a été houleux, Vincent Mendy explique que «la famille ne roulait pas sur l'or. Quand il a été sollicité, beaucoup de gens mal attentionnés tournaient un peu autour. Cela a dû faire un peu de remue-ménage. A ce moment, il y a peut-être eu une incompréhension entre les parents, séparés, ce qui n'est pas évident. Ils ont pu ensuite prendre du recul et se dire que ce qui devait primer, c'est Dayot.»

L'allemand, une nouvelle épreuve

Pour Upamecano, timide lorsqu'il ne connaît pas les personnes, ce saut dans l'inconnu, dans un pays étranger, avec la langue pas la plus facile à dompter, le défi est grand. Heureusement, la famille l'accompagne. Ghislaine et Eduardo, la mère et le beau-père, rigolent encore de ces cours d'allemand galère à domicile où toute la famille, qui s'essayait à la langue de Goethe, se moquait les uns des autres. Ou encore de cette fois où Dayot Upamecano a été contraint de commander le même plat pour tout le monde au restaurant car c'était la seule chose qu'il savait dire.

«Mais toi, tu es le boss ici ! Tu as quel genre de contrat ?»

«Die Maschine»

Des matches en D2, donc, une mise à jour physique («En six mois, c'est devenu un athlète, maintenant, c'est un monstre», détaille Zeidler), et un premier match de Championnat avec Salzbourg dès le mois de mars 2017. Avec un club qui devient très vite fan de lui. «Dans le vestiaire, les Allemands disaient : "Die Maschine."», sourit Oberlin. «J'ai presque tout appris là-bas, racontait Dayot Upamecano à FF en 2017. Je me suis développé. Dans mon jeu, j'ai appris à voir avant, à mieux apprécier mes déplacements. Humainement, avant, j'étais un peu timide, là-dessus aussi, ça m'a fait grandir. Partir de la France a donc été bénéfique. Je ne voulais pas aller trop tôt dans un très grand club.» Oscar Garcia, qui a pris la succession de Peter Zeidler découvre alors un garçon qui «devait apprendre à comprendre le jeu. Il jouait à l'instinct et cela créait des déséquilibres défensifs. Il se corrigeait avec sa vitesse et son physique, mais on savait qu'au plus haut niveau, ça ne passerait pas. On a travaillé avec lui sur des vidéos individuelles. L'idée, c'était d'éviter le maximum d'erreurs possibles», dessine l'ancien entraîneur de Saint-Etienne qui apprécie une première passe «vraiment excellente et une conduite de balle très puissante. Cela le rend indéfendable. Je me souviens d'un match où il a fait une erreur qui nous a coûté un but. Les actions suivantes, il a voulu faire un geste individuel pour obtenir un but et corriger son erreur. Sa tête était tourmentée. Sa timidité cache un garçon extrêmement compétitif.»

Voir :

Toute l'Allemagne et l'Europe, à l'image de Moussa Dembélé, ont découvert la puissance d'Upamecano. (J.Prevost/L'Equipe)

«Quand il est arrivé à Leipzig, il s'est rendu compte que, là, ça ne rigolait plus. Je pense qu'il y a eu en lui une prise de décision concrète de ce qu'il voulait faire de sa carrière. En Bundesliga, tu sens que si tu dors une semaine, on peut te prendre ta place.»

Lire :
-Upamecano affole la Premier League

2020. 21 ans. 76 matches de Bundesliga. 11 de Ligue des champions. 19 de Ligue Europa. L'équipe de France plus vraiment très loin. Les plus grands qui veulent le faire signer, notamment le Bayern Munich ou Arsenal. Le chemin a été prolifique. Pour une juste récompense. «Il a dû comprendre que pour être à un haut niveau, il faut aussi l'être en dehors : être exemplaire, connaître des choses, s'ouvrir au monde, estime Vincent Mendy, d'Evreux. Je lui dis qu'il faut qu'il arrive à être lui, qu'il fasse vivre son propre nom, sa propre personnalité, qu'il n'essaie pas de ressembler à quelqu'un d'autre. S'il continue comme ça, à être toujours travailleur, à chercher plus haut, ce sera un des meilleurs défenseurs du monde. Il a ce truc en lui.» «C'est le genre de gamin qui ne pensait pas être là où il est aujourd'hui, qui a dû beaucoup bosser, remarque Romaric Bultel. Ce sont des bons exemples. Ousmane Dembélé, de nature, il était talentueux, il savait presque tout faire avec le ballon. C'était inné. Dayot, il n'y avait pas tout ça. Mais la force qu'il avait, c'est qu'il était à l'écoute, qu'il avait enve de prouver, de montrer qu'il était plus fort.» Comme expliqué, les échecs et épreuves n'ont fait que l'armer et le renforcer, comme le décès d'une petite soeur un jour de 2015, à quelques heures d'une demi-finale d'Euro U17. Abattu, il a été porté par sa famille pour tout de même s'aligner alors qu'il ne souhaitait pas jouer la partie. Trois jours après, les Bleuets remportaient la compétition.

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«Ça en fait un défenseur de tout premier plan»

Les projecteurs sont donc braqués sur lui. Mais tout est loin d'être acquis. Lui-même en premier le sait. «Progresser sur la discipline tactique, aller plus loin pour donner encore plus de sécurité et de force à ce qu'il est capable de faire, cible Sylvain Ripoll. Il peut encore réduire la marge d'erreur dans des zones préjudiciables.» Reste que s'il parvient à maintenir une forme physique optimale (il avait été éloigné des terrains plusieurs mois la saison dernière pour une blessure au genou), l'avenir s'annonce radieux. «Avec sa marge de progression et ce qu'il est déjà capable de faire, ça en fait un défenseur de tout premier plan», argumente Ripoll. «Il a le vent dans le dos», note Olivier Bijotat. «Il a encore besoin de progression, mais il est sur le bon chemin», termine Ghislaine, la maman. Pas étonnant que l'on dise qu'il faut toujours écouter une mère.

Timothé Crépin (avec Antoine Bourlon )