trezeguet (david) (A.De Martignac/L'Equipe)

David Trezeguet, l'or de France : retrouvez l'article de France Football du 4 juillet 2000 après le sacre de l'équipe de France à l'Euro

2 juillet 2000 - 2 juillet 2020 : il y a 20 ans, l'équipe de France, après une incroyable finale, remportait l'Euro à Rotterdam face à l'Italie. Avec un héros nommé David Trezeguet. Deux jours plus tard, dans son édition spéciale Euro, France Football rendait hommage au futur attaquant de la Juventus. Retrouvez l'article de ce 4 juillet 2000.

David Trezeguet a donné la victoire finale aux Bleus en marquant le but en or face aux Italiens (2-1). C’est pour ce jeune homme de 22 ans la récompense d’un mental d’acier qui ne s’est pas émoussé sur le banc de touche pendant la compétition, mais aussi d’un choix de vie. A 17 ans, David avait choisi la France. Cinq ans après, il en est formidablement devenu le héros.

Sans doute, après avoir beaucoup espéré une place de titulaire, et l’avoir dit haut et fort, David Trezeguet avait-il compris que s’il savait sa chance dans cet Euro, ce ne serait que pour être le sauveur de l’équipe de France. Sans doute, après avoir manifesté un peu d’agacement en voyant l’émergence du duo Anelka-Henry lors du Tournoi de Casablanca (NDLR : matches de préparation des Bleus avant l'Euro) puis des premiers matches de la compétition avait-il admis le seul scénario qui pouvait lui ouvrir le chemin de la pelouse : une France menée au score, un match difficile, un urgent besoin de but. Comme lors de ce dernier match de qualification (pour l'Euro), où après avoir remplacé Laslandes après l’heure de jeu, il n’avait attendu que huit minutes pour marquer le troisième des buts des Bleus contre l’Islande (NDLR : 3-2, le 9 octobre 1999), et qualifier son équipe. Ainsi, David Trezeguet, remplaçant magnifique, entré en jeu à la 76e minute à la place de Youri Djorkaeff, aura-t-il envoyé la France à l’Euro, avant de lui donner le sacre absolu par la grâce de son huitième but en bleu (en 21 sélections). «Je ne suis pas là par hasard, je ne suis pas un champion du monde de circonstance», avait murmuré Bati (surnom référence à son idole Batistuta), au soir de ce 9 octobre qualificatif. Dimanche soir, il n’avait pas oublié, à l’heure de raconter son but en or. «Robert déborde bien, il lève la tête et me met un très bon centre. Là, je ne me pose pas de question. Je frappe du gauche. Je ne sais pas si c’est un beau but, mais le plus important c’est la victoire. Je suis content, car avant j’avais déjà eu la possibilité de qualifier la France lors des éliminatoires.»

Voir :
-France-Italie 2000, une soirée légendaire en images

«Robert déborde bien, il lève la tête et me met un très bon centre. Là, je ne me pose pas de question. Je frappe du gauche. Je ne sais pas si c'est un beau but, mais le plus important c'est la victoire. Je suis content, car avant j'avais déjà eu la possibilité de qualifier la France lors des éliminatoires.»

Quand David Trezeguet remplace Youri Djorkaeff alors que l'équipe de France est menée 1-0. (DE MARTIGNAC/L'Equipe)

«Je pense que David est certainement le meilleur joueur du monde devant le but...»

Le tout dit sur un ton calme, sérieux, détaché, si loin de l’euphorie extravertie d’un Petit ou d’un Djorkaeff mettant le feu aux coulisses du Kuip de Rotterdam. Un ton qu’on pourrait presque trouver désabusé si on ne connaissait pas l’homme, son ambition exacerbée, sa confiance absolue. C’est certain, plus jamais on n’aura désormais le droit de négliger David Trezeguet, qui tel Oliver Bierhoff il y a quatre ans (auteur de deux buts en finale pour l’Allemagne, dont un but en or, alors que son équipe était menée 1-0 en finale par la République tchèque lors de l'Euro 1996) est entré en jeu pour offrir l’égalisation en fin de match à Wiltord sur une remise de la tête, avant de conclure victorieusement, d’une formidable reprise du gauche, le déboulé rageur et «tiganesque» de Robert Pirès sur la gauche. Avant, comme quelques-uns de ses camarades, de «couper le son» dans cet Euro, il avait d’ailleurs évoqué le nom du buteur allemand. Dimanche, il reconnaissait avoir vécu des moments difficiles dans cet Euro : «Je trouve que de mon côté, comme pour beaucoup de remplaçants, cela a été une compétition difficile au niveau personnel. Mais c’est la règle, il faut l’accepter. Je suis à la disposition de l’entraîneur et de l’équipe...» Roger Lemerre dira, lui : «J’avais tellement confiance en lui» quand il est entré. Des mots à la fois si simples, et si forts. Il ajoutera quelques minutes plus tard, devant la presse mondiale : «Je pense que David est certainement le meilleur joueur du monde devant le but...» Superbe éloge, de la part d’un Roger Lemerre dont le coaching aura une nouvelle fois été décisif en finale (buts de deux remplaçants, et passe décisive du troisième). Sans doute le sélectionneur ne rêvait-il pas de plus beau scénario, lui qui, inlassablement, avait répété qu’il comptait sur tout le monde, et que si la France gagnait l’Euro ce serait avec tous ses joueurs. Et David, qui sait si bien parler de lui, avait cette fois, au soir de sa grande gloire, choisit comme à Monaco cette saison (où il a marqué 22 buts, terminant deuxième buteur du Championnat derrière Sonny Anderson) les mots du collectif : «Ç’a été un match difficile, contre une Italie bien en place. Mais cette victoire est la récompense du travail. On a très bien travaillé à la fois depuis trois ans qu’on est ensemble, et pour cette compétition. On était conscients qu’on pouvait aller au bout, mais on a su faire les efforts pour y arriver...» Du pur discours bleu, celui de la victoire plus que des effets d’annonce. Pourtant, s’il est trop fier pour la dévoiler, l’émotion était bien présente au fond du cœur de David Trezeguet dimanche. Il la dévoilera au moment d’exploser de joie, et d’offrir le plus beau sourire qu’on lui ait connu depuis longtemps. «J’ai pensé à mon fils, à ma famille, à mes amis, à pas mal de gens et à pas mal de choses...»

Lire :
-Notre résumé de la finale de l'Euro 2000
-L'équipe de France 2000, la meilleure d'entre toutes

La Une de FF du 4 juillet 2000.

La récompense d'un défi humain

C’est que ce but est aussi la récompense d’un vrai défi humain. D’un formidable et courageux choix de vie effectué en famille : l’expatriation, l’adieu à l’Argentine où il a passé presque toute sa vie, et où il était un jeune aspirant professionnel à Platense, le choix de tenter une carrière complète en France, ce pays où il a vu le jour (David Trezeguet est né à Rouen, ou son père était joueur professionnel, le 15 octobre 1977), et qui accompagnait tellement ses rêves d’enfant que ses copains, à Buenos Aires, l’avaient surnommé «le Français». «Je sais ce que ma famille a fait pour moi. Mon père et ma mère ont quitté leur travail, ma sœur son école et ses amis. Mais je n’ai jamais douté...», rappelle-t-il souvent. Seulement un peu plus de cinq ans après ce grand saut, Trezeguet devient le héros de son pays d’adoption, et clôt magistralement une saison qui aura été celle de tous les bonheurs : un titre de champion de France avec Monaco, un mariage avec sa compagne Béatrice, la naissance de son fils, Aaron, au printemps et un transfert tant espéré, enfin concrétisé à la Juventus Turin, pour un contrat de cinq ans et un vrai salaire de star (environ 16,5 MF annuellement, le transfert ayant coûté 150 MF à la Juventus). «Je suis très content d’être français, avouait le héros dimanche, mais je suis aussi conscient qu’en football ça va très vite, et que pour moi ça va vraiment hypervite. En cinq ans, j’ai quitté l’Argentine, je suis devenu deux fois champion de France avec Monaco, j’ai gagné deux grands titres avec l’équipe de France. Ça paraît incroyable, mais c’est la réalité. Mais je garde la tête sur les épaules. Je sais que je dois encore travailler, progresser, et c’est pour cela que je pars en Italie, pour continuer à élever le niveau. Par rapport à ma mentalité, il me fallait partir à l’étranger...» Avant la finale, commentant son transfert dans les colonnes de L’Equipe, il avait déclaré : «C’est le Championnat le plus dur, le plus exigeant. Je devais, de toute façon partir à l’étranger pour progresser encore comme l’ont fait tant de Bleus avant moi. En Italie, c’est un défi important qui m’attend...» Et sans doute encore plus difficile aujourd’hui. David Trezeguet a changé de statut depuis dimanche.

Lire :
-Les notes de la finale entre la France et l'Italie

Dans quelques semaines, l’Italie meurtrie ne l’accueillera sans doute pas à bras ouverts. On le regardera peut-être un peu de travers, il y aura des sentiments mêlés de crainte, de rancœur, et aussi de respect. L’affection sera difficile, et si elle vient, ce ne sera que par les buts. David le sait bien, et peu lui importe sans doute. Car grâce au plus beau des buts en or, il a déjà gagné pour toujours, et paradoxalement à l’heure où il quitte la France, le grand amour de son pays d’adoption.