(R.Martin/L'Equipe)

Coupe du monde 2022 au Qatar : premier épisode consacré à l'état des lieux du football et le tournant de l'abandon des naturalisations massives

A quatre ans du début du Mondial 2022, FF.fr vous propose de faire un point sur la situation footballistique au Qatar. L'Emirat a mis en oeuvre un processus ambitieux pour développer son football avec l'objectif d'être prêt pour "sa" Coupe du monde. Premier épisode avec un état des lieux du football local et des mutations orchestrées.

Le 21 novembre 2022 débutera la 22e édition de la Coupe du monde. Le Qatar a été choisi comme pays hôte de la compétition en 2010 et, depuis, le micro-État du Golfe s'active pour développer tous les pans du football dans le pays. Au-delà des tourments politiques qui entourent ce choix, il y a la réelle volonté pour les Qataris de faire honneur à leur statut de pays hôte.

Le Qatar part de loin

En visite fin octobre, Gianni Infantino, le président de la FIFA, s'était bien gardé de faire la part belle aux doutes qui entourent la compétition. En bon inspecteur des travaux non finis, il avait alors annoncé que l'édition 2022 serait «la plus belle des Coupes du monde». A l'époque, le 2 décembre 2010, le Qatar avait battu les candidatures de l'Australie, des Etats-Unis et du Japon. L'organisation de la compétition s'inscrit dans le cadre du «Qatar National Vision 2030», une feuille de route prioritaire pour l'État. Le sport en est un instrument principal, que ce soit pour des questions d'influence, relevant du "soft-power", ou pour des enjeux de santé publique (la lutte contre l'obésité notamment). Le Comité organisateur local (COL) du Qatar 2022 est appelé le «Supreme Commitee for Delivery and Legacy». A sa tête, aujourd'hui, le Secrétaire général Hassan Al Thawadi, nommé en 2011, et son adjoint Nasser Al Khater. «Dès l'instant où le Qatar a obtenu le droit d'accueillir le Mondial, le football et tout ce qui est autour a été amplifié, nous avons désormais la tâche d'organiser ce que nous espérons être la meilleure Coupe du monde de l'histoire, confie à FF.fr le secrétaire général de la QFA, Mansour Al-Ansari. Nous avons toujours été considérés comme un des pays les plus avancés de la région en termes de sport et d'infrastructures, en ce sens accueillir l'épreuve reine semblait être une prochaine étape logique».

2022 n'aura pourtant pas grand-chose à voir avec les précédentes éditions. D'abord, le Qatar est le premier État arabe à organiser une Coupe du monde. Ensuite parce qu'elle aura lieu en plein hiver occidental. Avec entre 33 et 35°C de moyenne en juin et juillet, il paraissait inconcevable d'organiser la compétition comme il était coutume de le faire jusqu'ici. Elle se déroulera donc du 21 novembre au 18 décembre 2022. Une date de fin qui coïncide également avec la fête nationale qatarie. Huit stades ont été choisis pour l'événement. A l'heure actuelle, un seul est parfaitement opérationnel : Le Khalifa International Stadium de Doha, inauguré en 1976. Fermé pour travaux, il a rouvert en mai 2017, à l'occasion de la finale de la Coupe de l'Emir, l'équivalent de la Coupe nationale. Les autres stades sont en cours de construction, à des degrés d'avancement variables.

Au-delà des infrastructures, il faut une équipe - compétitive - pour disputer une Coupe du monde, ce que le Qatar s'emploie à mettre en place. Mais le pays part de loin : il ne s'est jamais qualifié pour une phase finale. Pire encore, lors de la dernière campagne pour 2018, il a terminé dernier de sa poule de qualification. C'est dire le chantier qui attend la Fédération du Qatar de football (QFA) et son président, le Sheikh Hamad Ben Khalifa Ben Hamed Al Thani. Vu d'Europe, en effet, le palmarès du Qatar fait vide. L'équipe nationale a joué son premier match en 1970 contre le Bahreïn, tandis que le pays a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1971. Il a remporté trois fois la Coupe du Golfe (1992, 2004, 2014), une compétition méconnue en France mais prestigieuse dans la région. Son classement FIFA le plus élevé date de 1993, avec une 53e position. Le Championnat local, lui, la Qatar Stars League (QSL), voit douze équipes s'affronter d'août à novembre. Les clubs qataris participent aussi à la C1 asiatique. Cette année, Al Sadd, l'équipe de Xavi mais aussi de Gabi, ancien de l'Atlético, est arrivé jusqu'en demi-finale tandis qu'Al Duhail a atteint les quarts de finale.

Le Qatar cherche à présenter une équipe compétitive.

Pour les joueurs qui y signent, le Qatar représente dans l'imaginaire collectif une forme de primauté accordée à l'argent plutôt qu'au niveau du football. On moque souvent le fameux challenge sportif. Mais si cela apparait comme un phénomène plus ou moins récent, vieux d'une dizaine d'années, en réalité, ce constat est erroné, comme le rappelle Wael Jabir, fondateur du site Ahdaaf, spécialisé dans le football du Moyen-Orient. «Le Qatar s'est établi comme une place forte du sport dans la région bien avant que la décision de lui octroyer le Mondial ait été prise. Le Championnat a attiré des grands noms comme Romario, Raul, Batistuta, Guardiola ou Desailly dès le début des années 2000». Mais cet eldorado pourrait prendre un virage à 180° et traduire la volonté de la QFA d'arrêter cet afflux massif de joueurs étrangers.

La fin de cette politique a laissé différents joueurs sans solution : les clubs avaient déjà rempli leur quota de joueurs étrangers et ne pouvaient donc plus les enregistrer. Deux solutions se proposaient alors : quitter le pays ou jouer en deuxième division, où ils peuvent être enregistrés comme étrangers. Mais il y a également des cas totalement ubuesques qui émanent de l'abrogation de cette règle. Hamza Al Sanhaji est un joueur d'Al Sadd, né au Maroc et en attente de naturalisation. «Son cas est très étrange. Il est dans l'effectif d'Al Sadd, enregistré comme joueur qatari à l'AFC et il a déjà joué avec l'équipe B du Qatar, en amical. Au final, il a joué la Ligue des champions avec son club mais pas le Championnat. Il s'entraîne avec l'équipe mais regarde les matches en tribunes, raconte Ahmed Hashim. Ils ont essayé de l'envoyer en prêt au Maroc ou en Belgique pour qu'il ait du temps de jeu, mais rien n'a évolué depuis et ils ont été obligés de le rappeler pour les matches de Ligue des champions». En effet, Al Sanhaji a été successivement prêté en Belgique, à Eupen, dans un club marocain et récemment en deuxième division qatarie. En 2015, il avait été sélectionné pour participer au Championnat U23 d'Asie de l'Ouest.

En D2, en général, les clubs acquièrent les joueurs le temps que leur situation s'arrange, avant que ceux-ci ne retournent dans l'élite. C'est le cas pour Grégory Gomis, originaire des Yvelines. Après des passages avec les équipes régionales d'Ile-de-France, à Vannes avec le groupe professionnel et comme stagiaire professionnel à Sedan, il a été contacté par un agent pour jouer au Qatar. «Mes parents n'étaient pas chauds au début. Mais j'avais fait un stage en Allemagne avec mon futur club avant d'aller là-bas, j'avais été très surpris par leur professionnalisme», explique-t-il. En 2012, il a signé pour cinq ans à Al-Salliya, et a été prolongé dès 2014 grâce à de très bonnes performances. A l'époque, un projet sur le long terme a motivé sa décision de signer au Qatar : la sélection qatarie. «La Coupe du monde 2022 a été un des motifs de ma signature. Au fur et à mesure de mes prestations ici, l'idée a émergé. Les journaux, différents entraîneurs m'ont fait comprendre que ce serait possible. J'ai bossé tous les jours pour atteindre cet objectif, avoue-t-il. J'y crois, je travaille dur et on verra. Je suis totalement intégré ici. En janvier, ça fera sept ans que je suis au Qatar». L'abolition du système de black-card l'a obligé à jouer en deuxième division, et surtout à être patient, en attendant que son cas soit traité par les autorités. Le temps que sa régularisation se fasse, le joueur aurait pu être prêté en Ligue 2, mais cela n'a pas pu se faire. Toutefois, comme il le précise, la confiance mutuelle avec son club, et la volonté pour les deux parties de trouver une solution lui redonnent l'espoir de le réintégrer. Dernièrement, il a repris l'entraînement avec son ancienne écurie, Al Sailiya, en attendant de retrouver les terrains.

La fin des joueurs étrangers illimités...

En effet, pour 2022, l'objectif est de présenter une équipe "locale". Pour cela, il y a plusieurs leviers. Le premier consiste à réduire le nombre d'étrangers autorisés à jouer par équipe dans le Championnat. Progressivement, le Qatar a abaissé ses "quotas". De 5, le chiffre s'est réduit, avant de se conformer aux standards asiatiques mis en œuvre par l'Asian Football Confederation (AFC) avec la règle du "3+1" : trois étrangers plus un joueur asiatique.

La particularité du Qatar est qu'à cette règle s'en était ajoutée une autre : la "black-card". Ahmed Hashim, qui est basé au Qatar et couvre le football sur place depuis une dizaine d'années, explique son fonctionnement. «La black-card était un procédé qui permettait à chaque club de prendre un joueur étranger supplémentaire au-delà des 3+1. Elle était généralement accordée aux joueurs qui auraient pu prétendre à une naturalisation future suivant la volonté de la QFA». Des abus ont conduit à la fin de cette règle en 2017. Certains clubs naturalisaient à outrance et pouvaient ainsi se permettre d'avoir des places restantes pour faire signer d'autres joueurs étrangers. Ce joker était à la fin perçu comme négatif, réduisant les chances pour les locaux de s'imposer dans les équipes de QSL.

Grégory Gomis, passé par Vannes ou Sedan, a un objectif : jouer la Coupe du monde avec le Qatar.

...et des naturalisations massives

Le but de cette révision est de pousser les clubs à trouver les meilleurs joueurs étrangers, et de ne pas tomber dans la facilité en signant tous les éléments disponibles. «La QFA ne s'interdit pas de réguler encore plus le système pour stimuler les joueurs locaux en vue de 2022. Ils veulent aussi rectifier le flux de naturalisations, les permissions deviennent plus rares et concernent des cas spéciaux», commente Ahmed Hashim. Toute la politique de naturalisation subit les foudres des réformes. A l'instar de ce qu'elle avait fait pour la Coupe du monde de handball, la fédération a pendant plusieurs années massivement naturalisé les meilleurs éléments à sa disposition. Ce qui interrogeait surtout, c'était l'âge des naturalisés qui avaient souvent plus de 30 ans. Par exemple, le Brésilien Rodrigo Tabata a été naturalisé à 35 ans et a disputé son premier match officiel en sélection en 2016. C'est aussi le cas de Sebastian Soria, meilleur buteur et joueur le plus capé de l'histoire du Qatar. La procédure est tout à fait commune. Selon le règlement de la FIFA, un joueur qui souhaite obtenir une "nouvelle" nationalité, peut être naturalisé «s'il a vécu continuellement au moins cinq ans dans le pays après ses 18 ans». Aujourd'hui, les naturalisations semblent avoir ralenti, il n'y en aurait pas eu - ou très peu - depuis la fin de l'année 2017. Ces chiffres sont toutefois difficilement vérifiables.

Sur la dernière liste de la sélection, qui a battu la Suisse (1-0), et avant la Coupe d'Asie en janvier prochain, on constate une très nette hausse des joueurs formés au pays. Si l'on compare avec l'effectif de la Coupe d'Asie 2015, il y a une baisse visible des joueurs venant de l'étranger et n'ayant pas un lien établi avec le Qatar depuis leur jeunesse. Il est incertain de classer les joueurs en fonction du fait qu'ils soient nés ou pas au Qatar, certains sont arrivés très tôt, y ont grandi et ont joué avec des équipes de jeunes, en club ou sélection. On retrouve donc trois exceptions majeures que sont Boualem Khoukhi (Algérie), Pedro Miguel Correia (Cap Vert) et Karim Boudiaf (France), contre huit en 2015. Une progression indéniable pour la QFA, qui doit désormais se traduire par des résultats...

Jérémy Docteur

Les prochains épisodes à venir cette semaine

Episode 2 : Le modèle du mastodonte de la formation de jeunes joueurs : Aspire Academy
Episode 3 : Les liens d'Aspire à l'international et avec la sélection nationale
Episode 4 : Les influences internationales d'Aspire et le futur de la sélection