Soccer Football - World Cup - Tunisia Training - Selyatino, Russia - June 13, 2018 Tunisia's Mouez Hassen during training REUTERS/Albert Gea (Reuters)

Coupe du monde 2018, Tunisie, Mouez Hassen : «Il ne faut pas se planter»

Exalté par une préparation encourageante, Mouez Hassen voit son équipe, la Tunisie, être la surprise de la Coupe du monde. «Personne n'y croit mais le statut d'outsider nous va très bien, on peut aller très loin», assure le gardien de Châteauroux, conscient qu'après douze ans d'absence, les Aigles de Carthage sont attendus par tout un peuple.

«Mouez, le Mondial débute pour vous dans quelques jours. Racontez-nous votre préparation.
On est serein, mais c'est un vrai pic d'émotions. Il y a beaucoup d'excitation. Tout se mélange un peu. Il y a énormément de concurrence au sein du groupe, chacun bataille pour gagner une place de titulaire. Attention, ça reste très sain malgré tout. C'est quand on est arrivé en Russie qu'on a vraiment pris conscience des choses, je pense. On s'est dit "ça y est, c'est maintenant, on y est, waouh". Pour la plupart des joueurs du groupe, c'est une première Coupe du monde. Donc forcément, il y a un peu de stress, de pression aussi. C'est le rêve de tout joueur, là on est en train de le réaliser, il ne faut pas se planter.
 
La Tunisie a été séduisante pendant les matches de préparation. Qu'en est-il ressorti ?
Avec les matches amicaux qu'on a faits, notamment contre l'Espagne, c'est vrai que les supporters attendent beaucoup de nous. On a quelques lacunes à gommer mais on a montré un beau visage. Ils en ont marre qu'on se fasse sortir au premier tour. Ils attendent de nous un exploit.
 
Les médias tunisiens étaient, eux, un peu plus critiques à l'égard de la sélection...
Oui, d'un côté, on nous soutient, mais en même temps, il y a toujours beaucoup de critiques. "Ouais mais il manque ci, ouais mais il manque ça"... En pleine préparation, c'est logique que tout ne soit pas parfait. On essaye de ne pas trop y prêter attention, ce n'est pas tellement constructif.
 
La dernière fois que la Tunisie a disputé une Coupe du monde, c'était il y a douze ans, en 2006. Vous aviez une dizaine d’années. Quel souvenir en gardez-vous ?
C'est la Coupe du monde qui m'a le plus marqué. Déjà parce que la France était allée très loin, Zidane avait régalé. Et la Tunisie avait fait très bonne figure, même si on était sorti au premier tour. On n'avait pas joué des équipes faciles. Il y avait l'Espagne, l'Ukraine si je me souviens bien... Le niveau était monstrueux. Il y avait vraiment de grands noms, c'était un truc de malade. J'étais devant ma télé, j'avais trop envie de jouer. Douze ans plus tard, j'y suis, c'est grandiose.

Que représente ce Mondial pour vous, votre famille, vos proches ?
Franchement, c'est un truc de fou. C'est une immense fierté. Je pense que dans une carrière, disputer une Coupe du monde, c'est quelque chose de magique. Quand t'es petit, tu parles du Mondial ; là, je vais le jouer, c'est extraordinaire. Mes proches ne réalisent pas tous encore, je crois. Je pense qu'ils vont vraiment avoir un déclic quand ils me verront sur le terrain. Ils vont kiffer (rires).
 
Finalement, rejoindre Châteauroux en début de saison s'est avéré être un choix judicieux...
J'ai pris un gros risque en allant là-bas. Personne ne savait vraiment comment j'allais réagir, comment j'allais m'adapter. Il y avait de l'attente mais de la peur aussi, notamment de la part de mes proches. Certains se demandaient ce que j'allais bien faire en Ligue 2. Malgré les critiques ou la méfiance que ça inspirait, j'ai pris la décision tout seul, comme un grand. Aller en Ligue 2, c'était peut-être reculer, mais pour mieux avancer ensuite. Et la preuve que j'avais raison, aujourd'hui, c'est grâce à ma saison à Châteauroux que je suis en sélection. C'était probablement le meilleur choix de ma vie.
 
Vous ne faisiez pas encore partie du groupe pendant les qualifications. Comment avez-vous vécu cette campagne, à distance ?
C'est vrai que j'ai vécu ça de loin puisque je n'étais pas personnellement impliqué. Mais quand ils se sont qualifiés, j'étais super heureux. C'était un grand moment pour toute la Tunisie, pour mes parents, pour moi.
 
Votre première sélection est arrivée juste après. Comment avez-vous été accueilli par le groupe ?
Rejoindre une équipe de ce niveau, qualifiée pour la Coupe du monde, c'était un vrai plaisir. J'apprends tous les jours. Tout le monde était très à l'aise. J'ai vite trouvé ma place, dans la joie et la bonne humeur.

Pendant les matches de préparation, vous semblez avoir simulé une blessure à l’heure de la rupture du jeûne. Racontez-nous !
Je l'attendais cette question ! (rires). Alors, pour être honnête, contre la Turquie, j'étais vraiment blessé. Mais disons que c'est tombé pile poil au bon moment. Et face au Portugal, effectivement, j'ai simulé. C'était une demande du coach pour permettre à mes coéquipiers de pouvoir boire et manger.

C’est compliqué d’allier Ramadan et préparation ?
Franchement, ce n'est pas aussi compliqué qu'on peut le penser. Dans l'équipe, certains le font, d'autres non, chacun est libre. C'est une question d'habitude. Moi, je jeûne depuis très longtemps, donc mon organisme est habitué. Je dirais même que c'est très bon. Et d'ailleurs, ça s'est vu dans nos résultats. Après, chacun assume ses décisions et les conséquences qu'elles ont, ou non, sur ses performances. Ceux qui ressentent des baisses de forme sont libres d'arrêter.
 
Avec la Belgique et l'Angleterre, deux grosses équipes, et le Panama, qui semble un cran en dessous, dans son groupe, quelles sont les chances de la Tunisie ?
Il faudra quand même faire attention au Panama, ce serait dangereux de les sous-estimer. S'ils sont là, c'est que c'est une bonne nation de foot. Après, la Belgique et l'Angleterre, on connaît leurs qualités. L'Angleterre, avec une nouvelle génération, va vouloir jouer sa carte à fond. Nous, être outsiders, ça nous va très bien. Je n'ai pas l'impression que beaucoup de personnes pourraient parier sur nous, mais ça nous va très bien : un, ça nous permet de rester concentrés, de ne pas s'enflammer et deux, ça nous motive encore plus. On se dit : "allez, vous ne croyez pas en nous, mais on va vous montrer ce qu'on sait faire".

«Rejoindre Châteauroux, malgré les critiques et les interrogations, c'était probablement le meilleur choix de ma vie.»

«Je n'ai pas l'impression que beaucoup de personnes pourraient parier sur nous, mais ça nous va très bien.»

Vous êtes franco-tunisien. Vous avez porté les couleurs de l'équipe de France dans les catégories de jeunes. A quel moment avez-vous choisi la Tunisie ?
L'année dernière, j'avais été contacté par la Tunisie mais mon discours a toujours été le même : je voulais attendre de jouer, d'être installé en tant que titulaire. C'est un concours de circonstances que ça se soit décidé juste avant le Mondial. Le coach a dit "il nous le faut maintenant". Mais c'est un choix que j'avais déjà fait depuis longtemps. Mes parents avaient vraiment à cœur que je joue pour la Tunisie, c'était quelque chose d'important pour eux que je reconnaisse et défende mes racines. En optant pour la Tunisie, je voulais aussi leur rendre tout ce qu'ils m'ont apporté dans la vie.

Quel regard portez-vous sur l’équipe de France ?
Ils ont un potentiel énorme. Ils ont du talent. Ils ont tout pour aller très très loin.
 
Hugo Lloris paraît moins serein en ce moment. Comment vous analysez sa saison en tant que gardien ?
Pour moi, il a fait une très bonne saison. C'est juste qu'en France, on ne lui pardonne rien. C'est dommage, c'est chiant (il soupire). Qu'on le laisse tranquille un peu. C'est pourtant un des meilleurs gardiens au monde. Ceci dit, je pense que c'est quelqu'un de très intelligent, qui arrive à prendre assez de recul pour passer au-dessus de tout ça. Tous les gardiens font des erreurs et on est forcément en première ligne. Mais j'espère que les critiques, il s'en fout. Sans lui, il y a sûrement pas mal de matches que la France n'aurait pas gagnés.
 
Vous êtes issu du même club, Nice. C'est un exemple pour vous ?
Quand je vois la carrière qu'il a, être aussi performant si longtemps au haut niveau, forcément, ça m'inspire le respect. Il fait partie des gardiens dont je m'inspire, au même titre que De Gea ou Neuer. J'essaye de prendre le meilleur de chacun pour m'améliorer.

Que pensez-vous de la mise à l’écart de Karim Benzema ?
Moi, je trouve ça idiot. C'est le meilleur attaquant français. Je ne comprends pas comment on peut se priver d'un tel joueur. Mais je reste persuadé que les personnes qui ont pris cette décision le regretteront.

Si vous deviez piquer un joueur à cette équipe de France, lequel vous choisiriez ?
Allez, je dirais Griezmann ! On peut le naturaliser quand il veut (rires)

La Tunisie peut-elle être LA surprise de ce Mondial ?
Pourquoi pas ! Nous, on y croit fortement en tout cas ! On connaît nos qualités et on sait qu'on peut aller très loin. Je suis le premier convaincu qu'on peut être LA grosse surprise du Mondial ! Il faudra rester appliqués, rigoureux et il faudra jouer tous les coups à fond. Mais surtout, le plus important, il ne faudra rien regretter.

Quel sont vos favoris pour le titre final ? 
Bah c'est nous ! (rires) Je suis positif, optimiste ! On peut rêver d'une finale Brésil-Tunisie, non ? Neymar ? Si t'arrives en finale, tu n'as plus peur de personne !
 
Outre Neymar, d'autres grands noms seront présents à ce Mondial. Y a-t-il des attaquants que vous redoutez particulièrement ?
Il faut redouter tout le monde ! C'est ça mon secret, c'est ça ma force. Ce n'est pas parce qu'un mec joue dans un petit club ou est moins connu qu'il ne peut pas me surprendre.

«Lloris est un des meilleurs gardiens du monde, un exemple. Qu'on le laisse tranquille un peu.»

Pauline Omam Biyik