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Cheick Diabaté : «Sans les gens, ça sert à quoi le football ?»

Après avoir conquis la France, il avait charmé l'Italie à Benevento en 2018. Après un passage aux Emirats, le Malien a posé ses valises en Iran. Découvrez la première partie de notre entretien avec l'immense Cheick Diabaté. Et on vous l'assure : il n'a pas changé. (Photo : Instagram Cheick Diabaté)

«On est content d'avoir de vos nouvelles ! On s'était demandé où était passé Cheick Diabaté...
(Il sourit.) Cheick Diabaté est là, toujours là ! Je suis en Iran. Ça va, mais pas comme avant. Avec le coronavirus, tout est arrêté. Le football, les entraînements... Personnellement, je me dis que j'ai la santé, donc il n'y a pas de problème.

Depuis combien de temps tout est arrêté en Iran ?
Ça fait presque deux semaines (NDLR : L'interview a été réalisée le 17 mars dernier). On sait que l'Iran est un pays très touché par le coronavirus. Les gens essaient de faire attention. Mais c'est vrai que tout a changé. Beaucoup de restaurants sont fermés. Les gens restent chez eux. C'est calme. Je peux dire que ça fait peur. Vu qu'il y a de la famille partout, des amis partout, on s'inquiète. Moi j'essaie de rester à la maison le plus souvent possible. Je sors pour aller courir, mais tout seul, pour garder la forme. Mais rester enfermé à la maison... Au bout de trois ou quatre jours, on a envie de sortir un peu ! 

La France est passée en confinement, est-ce la même chose en Iran ?
Non, non, ce n'est pas pareil. J'essaie quand même d'avoir quelques infos pour savoir comment ça se passe en France. En Iran, les gens commencent à voir peur. Avant, on faisait tout et la télévision disait juste aux gens de faire attention. Mais bon, il y en a qui le prenait au sérieux et d'autres qui s'en foutaient un peu. Mais, aujourd'hui, comme ça tue beaucoup de gens en Iran, les personnes commencent à avoir peur. Je pense qu'ils auraient dû s'organiser un peu plus tôt.

«On est obligé de se protéger»

Avez-vous réfléchi à la possibilité de partir ?
J'ai envie de voir ma famille, de partir, c'est vrai. Je suis tout seul ici. Mais on est dans un moment où il est difficile de voyager. Parfois, je me dis que les aéroports peuvent être dangereux. Et le fait d'être en Iran, c'est difficile de voyager. Le pays est fermé. C'est comme ça. Il faut être patient. Il faut accepter. On n'a pas le choix, on est obligé de se protéger, de faire attention et de faire attention aux autres.

Parlons de votre aventure en Iran : comment s'est faite cette signature l'été dernier ?
C'est l'entraîneur qui m'a fait venir : Andrea Stramaccioni, un coach italien (NDLR : Passé par l'Inter, l'Udinese, l'Olympiakos ou le Sparta Prague). Avant de venir, on a beaucoup discuté. Au début, je n'étais pas motivé pour venir en Iran. J'ai fini par accepter car Esteghlal est une grande équipe ici, qui joue la Ligue des champions asiatique. Je me suis dit pourquoi ne pas essayer !

En vidéo, les images du triplé de Cheick Diabaté face à Tractor.

Pourquoi étiez-vous réticent à la base ?
Sincèrement, je ne connaissais pas du tout l'Iran. Je me posais des questions. Le fait de ne pas pouvoir trop sortir pour aller en boîte de nuit ou faire la fête, ça ne me dérange pas, ce n'est pas quelque chose que j'aime vraiment. Je suis quelqu'un qui aime bien rester à la maison. Mais je ne connaissais personne qui pouvait m'expliquer comment les choses se passent en Iran. J'ai fait confiance au coach. Je me disais qu'avec lui, je n'allais pas me sentir tout seul.

C'était un grand saut dans l'inconnu...
Oui, exactement. Quand je suis arrivé, c'était très, très bien, franchement. Je n'ai pas de regrets. J'ai commencé à jouer, à marquer, et les supporters, ici, c'est impressionnant, c'est incroyable. Il y a du monde ! Il y a deux équipes à Téhéran : Esteghlal et Persepolis. La moitié (des supporters) pour l'une, la moitié pour l'autre. À chaque match, c'est blindé ! Et quand ça se passe bien, c'est incroyable. Surtout que j'arrive à marquer et à faire de bons matches. Ils m'aiment énormément ici, c'est incroyable (Il sourit.). Quand je sors dans la rue, les gens viennent vers moi, ils veulent trop prendre des photos ! Même quand le coronavirus est arrivé, ils continuaient à vouloir en prendre. Là, j'ai dit non, il ne faut pas jouer avec ça. J'ai fini par m'adapter même si ce n'est pas comme si j'étais en France. Il y a une différence. J'ai aussi un ami iranien ici. Je fais tout avec lui. Je n'ai aucun problème ! Heureusement qu'il est là. Si ce n'était pas le cas, je ne sais pas si j'aurais pu tenir. C'est plus qu'un ami. Je connais ses parents, presque toute sa famille. Parfois, sa maman me dit : "Mais Cheick, je ne veux pas que tu manges au restaurant, je prépare à manger pour toi." En fait, je n'ai pas de problème dans la vie ici. C'est pour ça que ça me dérange pas de rester. Mais, malgré tout, la France me manque, car ce n'est pas la même chose. Et, en plus, j'ai ma famille qui y habite. Parfois, même s'ils font des efforts pour me mettre dans les meilleures conditions, forcément on a envie de revenir.

«Ils m'aiment énormément ici, c'est incroyable.»

Tout à l'heure, vous disiez ne pas vous sentir trop seul avec Stramaccioni : est-ce différent depuis qu'il est parti ?
Sincèrement, je me suis dit de quand même finir la saison et, ensuite, on verra la saison prochaine. Du moment que ça se passe bien sur le terrain... Sur le plan sportif, je n'ai pas de regrets. Et quand ça se passe bien dans ce pays, c'est incroyable. Une fois, je devais voyager en France. Je suis parti à l'aéroport. Il y avait deux vols. Je me suis trompé, je suis arrivé avec du retard. Et quand on m'a vu à l'aéroport, ils ont tout fait pour me trouver une place alors que les portes étaient fermées. Ils ont appelé : "Le vol ne peut pas partir, Cheick doit y être." (Il sourit.) Ce sont des choses qui ne m'arrivent jamais, même quand je suis au Mali !

Les Iraniens sont fans de vous !
Oui, énormément, il faut venir pour voir !

On va venir !
Pas pour le moment, je préfère que vous restiez à la maison, ce n'est pas le bon moment.

«Ici, après la religion, c'est le football»

On connaît très peu, si ce n'est pas du tout le niveau de ce Championnat iranien. Présentez-le nous...
Quand je suis arrivé, vu que l'entraîneur était italien, les six premiers mois, je me sentais comme si j'étais en Italie. Ça parlait italien même au centre d'entraînement, avec des séances d'entraînement similaires. C'était la même chose. Le coach est parti, ils ont fait venir un entraîneur iranien il n'y a pas très longtemps. Quant au Championnat, ça m'a surpris quand même. Les Iraniens jouent bien au foot ! Le niveau m'a impressionné. Il y a de très, très, très, très bons joueurs. Parfois je pose la question aux joueurs : "Mais pourquoi vous n'avez pas essayé d'aller jouer à l'extérieur, en Europe, pour voir autre chose ?" Les joueurs expliquent comme quoi ce n'est pas facile de partir puisque le pays est un peu fermé. Mais, sinon, ils aiment trop le football ! Après la religion, ensuite, c'est le football. Quand les gens vont au stade, ce n'est pas juste pour regarder du foot, c'est pour aller mettre l'ambiance. C'est une possibilité pour eux de crier un peu. Car, à part ça, il n'y a pas grand-chose à faire. Il n'y a pas de boîtes de nuit par exemple pour aller danser, c'est interdit. Donc le week-end, le stade est l'endroit où les gens peuvent se retrouver.

«Je suis parti à l'aéroport. Il y avait deux vols. Je me suis trompé, je suis arrivé avec du retard. Et quand on m'a vu à l'aéroport, ils ont tout fait pour me trouver une place alors que les portes étaient fermées. Ils ont appelé : "Le vol ne peut pas partir, Cheick doit y être."»

Avez-vous pu visiter le pays ?
Ah non, non, non. Moi, je suis là juste pour jouer au football. Le reste, sincèrement, non. Je m'entraîne, je rentre, je me repose, je prépare mes matches. Vu que j'aime beaucoup le foot, ça ne me dérange pas de tout faire pour être bon sur le terrain.

Question stats, vous en êtes à 8 buts en 13 matches de Championnat, avec 3 buts en 2 matches de Ligue des champions asiatique.
Ça se passe bien. Les joueurs sont contents. Les supporters aussi. Avant les matches, ils scandent mon nom. Je ne parle pas leur langue (Il sourit.), mais j'entend juste mon nom. Quand je marque, je fais un geste et quand je le fais, tout le monde crie en même temps. C'est incroyable.

«J'avais besoin de connaître d'autres cultures»

Vous a-t-on donné un surnom ?
(Il rit.) Ils disent le lion. En Italie, c'était le monstre. Je ne sais pas d'où ça vient ! Quand les gens sont contents, ils essaient de trouver un nom. Il y a un truc que j'aime bien : à un moment donné, le football peut me permettre de voyager. J'avais besoin de connaître d'autres cultures, de connaître autre chose. Et grâce au foot, j'ai appris beaucoup de choses. Des choses que je n'aurais pas pu découvrir si j'étais resté seulement en Afrique. Aujourd'hui, j'ai fait la Turquie, l'Italie, les Emirats, l'Iran. J'apprends beaucoup de choses, c'est très important pour moi. Je peux connaître plusieurs mentalités. C'est devenu une force pour moi puisque j'arrive à m'adapter partout. Je peux vivre partout. Les gens, c'est le plus important. Tout à l'heure, je parlais des deux équipes de Téhéran. Beaucoup de supporters de l'autre équipe (Persepolis) m'aiment bien, ils me connaissent, on discute, et ils me demandent pourquoi j'accepte de discuter avec eux ? Je leur ai répondu : "Mais les gens, c'est le plus important. Sans les gens, ça sert à quoi le football ? Si les gens ne viennent pas au stade, si les joueurs ne sont pas sur le terrain ? Vous voulez que je joue tout seul ?." Bien sûr que j'aime les gens. Sans les autres, on ne sert à rien, on ne peut rien faire. C'est ma mentalité. Aujourd'hui, je parle avec vous, on est en train de discuter et, c'est bizarre, mais ça me fait du bien. On ne s'est jamais vu, mais j'ai l'impression que je parle avec quelqu'un de très proche. C'est comme si on se connaissait depuis longtemps. Ça peut être n'importe quelle personne qui parle français. Ici, on ne parle pas le français, donc j'ai l'impression de parler avec quelqu'un de la famille. J'arrive à dire ce que je vois ici, et grâce à vous, les gens peuvent aussi entendre ce que je dis. Donc, encore une fois, le plus important, ce sont les gens. Je me dis que je ne suis pas tout seul.

Il faut dire que, en France, vous avez laissé une image tellement sympa...
Je sais, je sais (Il rit.). Après, c'est le respect. Il faut simplement respecter les gens et bien travailler, c'est tout.»

Timothé Crépin

Benevento, la suite de sa carrière, son envie de revenir jouer en France : rendez-vous ce dimanche pour découvrir la deuxième partie de notre interview avec Cheick Diabaté.