(L'Equipe)

Carnet de bord : France Football vous raconte de l'intérieur comment le Stade de Reims a vécu ses retrouvailles européennes (1/2)

Cinquante-sept ans après, Reims a retrouvé l'Europe jeudi dernier à Genève. Avec la qualification au bout (1-0). Avant son troisième tour en Hongrie ce jeudi, FF vous raconte de l'intérieur comment les Champenois se sont préparés et ont vécu ces retrouvailles européennes. Première partie.

31 juillet : Merci Bertrand !

«Si jamais il y en a qui n'ont rien à faire ce soir, il y a un match à la télé...» En fin de séance de ce vendredi d'été, on plaisante dans le vestiaire rémois. Comme pour évacuer le stress de l'attente. Mais on est évidemment au courant de ce qu'il se passe à partir de 21h10 au Stade de France. Brillant cinquième de Ligue 1 au bout d'une saison 2019-20 stoppée fin mai, le Stade de Reims a, au bout du jeu des coefficients, hérité du sixième rang. Etant tributaire des vainqueurs des coupes nationales pour rêver à une invitation en Ligue Europa. Reims enfile l'espace de huit jours l'écharpe du PSG. Deux victoires parisiennes face à Saint-Etienne et Lyon et l'Europe deviendra réalité.

Un tout petit 1-0 devant les Verts en Coupe de France. Puis une soirée à rallonge face aux Gones. Dans la cité des sacres, on vit ça à fond. Les staffs technique et médical se retrouvent autour d'un barbecue au centre de vie Raymond-Kopa. Jean-Pierre Caillot et sa femme reçoivent notamment leur fils, Pol-Edouard, responsable de la cellule de recrutement, et Mathieu Lacour, le directeur général. Xavier Chavalerin regarde cela avec ses parents, venus en vacances. Marshall Munetsi et Moreto Cassama, maillot de LeBron James sur le dos, se sont donnés rendez-vous. Thomas Foket observe cela tranquillement chez lui. 0-0 à la fin du temps réglementaire et de la prolongation. 5-5 après dix tirs au but. Puis Bertrand Traoré bute sur Keylor Navas, Pablo Sarabia offre la Coupe de la Ligue au PSG et la C3 aux Rémois. Le groupe WhatsApp des joueurs s'enflamme. Le duo Cassama-Munetsi exulte et partage cette joie folle sur les réseaux sociaux.

Quant à Jean-Pierre Caillot et l'état-major rémois, qui dit plaisir, dit champagne. «Chez nous, on a la chance d’avoir une boisson locale qui est là pour fêter les grands événements. On a donc très rapidement ouvert de bonnes bouteilles.» Quoique. «Toute la joyeuse compagnie commence à ouvrir du champagne, continue Caillot, je suis sur le balcon, en train de répondre à des appels de journalistes qui m'avaient donné rendez-vous en cas de qualification. Ce n’est pas toujours facile d’être président...» Habitué à ne pas ménager son rythme cardiaque en tribune lorsque son équipe est sur le pré, Jean-Pierre Caillot a vécu, même devant un poste de télévision, «un moment fort. C’est la première fois que je vois un match où le Stade de Reims n’est pas sur le terrain et que je stresse comme s’il y était. Je suis très tendu et très ému. Mais je trouve que ce n'est que justice qu'on puisse accéder à l'Europe

«C'a été du stress jusqu'au bout, confirme Xavier Chavalerin, dont la première action est d'appeler sa compagne, en vacances, pour partager sa joie. Je suis content comme si on avait gagné un match. Quand je suis arrivé ici, on était en Ligue 2. Et là, se dire qu’on va faire les qualifications de Ligue Europa, c’est beau. C’est une joie difficile à décrire.» Thomas Foket voit lui le vrai top départ de l'opus 2020-21 : «C’est un peu le début de la nouvelle saison, raconte le latéral belge. Là, on est fixés. On sait ce qu’il va arriver.» «La préparation est très, très longue, abonde de son côté David Guion, l'entraîneur rémois. Deux mois ! Quand on s’est préparés, les matches de coupes du PSG n’avaient pas encore eu lieu. C’est inédit. D’habitude, quand on commence la préparation, on sait si on est en Europe ou pas ! C'a été un vrai soulagement, un objectif qui se réalise.» Le lendemain, lors des retrouvailles au centre d'entraînement, on se congratule, on observe les noms des possibles adversaires, mais on est aussi conscient d'une chose : il y a trois tours à franchir pour voir la phase de poules de la Ligue Europa, et «il va falloir prouver qu'on a notre place, c'est le plus dur, prévient Chavalerin. Les gens vont nous attendre. On le sait

7 août : La lettre de Florentino Perez

Le Stade de Reims sera l’un des six clubs français engagés sur la scène européenne en 2020-21. Et sur le téléphone de Jean-Pierre Caillot, les messages de félicitations ont afflué ces derniers jours. Notamment des présidents de Ligue 1. Même de la part de Jean-Michel Aulas, face à qui le patron rémois s’était opposé lors du débat autour de la fin de saison 2019-20 ? «Non, il a oublié. C’est parce que je ne tweete pas…», ironise Caillot. En revanche, une tout autre missive va ravir le club champenois. Le Real Madrid et Florentino Perez font arriver un courrier en Champagne. «Ils nous ont écrit un message très fort, reconnaît Caillot, en nous disant qu’ils étaient vraiment heureux de nous retrouver sur la scène européenne, même si on n’est pas dans la même coupe qu’eux. Ils ont un œil sur leurs anciens adversaires et amis.» La classe.

31 août : Voyage, voyage

1963-2020 : Reims va donc disputer une rencontre de Coupe d'Europe. Cinquante-sept ans après Raymond Kopa et l'équipe d'Albert Batteux qui étaient sortis lors d'un dernier voyage européen à Rotterdam pour défier le Feyenoord en quart de finale retour de la Coupe d'Europe des clubs champions (1-1 ; 0-1 à l'aller). Mais cette nouvelle échéance est loin de faire partie du quotidien de David Guion et de ses joueurs au lendemain d'une défaite à la maison face à Lille au bout d'une prestation bien délicate (0-1). «On ne l'a pas mis tout de suite dans la tête des joueurs, détaille Guion. On y est allé par étape. J'avais dit aux joueurs qu'il y avait d'abord ces trois premiers matches de Championnat.» C'est ainsi que le tirage au sort de 13 heures ce lundi 31 août n'émeut pas plus que ça. Même si cela provoque un sentiment un peu spécial. Xavier Chavalerin : «Je l’ai suivi sur Internet. Cela fait bizarre. On ne s’attend pas à vivre des moments pareils. On voit le nom du club qui sort... C’est une récompense. Ce sont des clubs étrangers, c’est un peu nouveau. On est content de le jouer, peu importe l’adversaire

Installé à la cantine du centre d'entraînement, Jean-Pierre Caillot se dit deux choses : «Surtout, il faut jouer à Reims et pas face au Servette.» Les Champenois connaissent un peu plus tôt dans la matinée les noms des trois adversaires possibles : les Bosniens de Borac Banja Luka, les Gibraltariens de Lincols Red Imps, et donc les Suisses du Servette. «J’ai été pleinement satisfait : c’était tout le contraire !», rigole Caillot. Reims hérite en effet du Servette... pour un match disputé à Genève. A huis-clos, certes. Mais loin de ses bases. «Le huis-clos va être vraiment bizarre, estime Thomas Foket, parce qu'on a quand même joué des matches de Championnat avec des supporters.» Qui dit Genève, dit aussi des retrouvailles un peu spéciales avec Grejohn Kyei, formé en Champagne, qui n'avait pas su confirmer son potentiel chez les pros. «Un gamin du club, note Caillot. Il ne faudra jamais oublier que c'est lui qui a mis le but de la montée (en Ligue 1) contre l'AC Ajaccio (le 20 avril 2018, 1-0) alors qu'il avait connu une saison particulièrement compliquée.» A Reims et chez les supporters, on imagine déjà le cauchemar du joueur qui punit son ancienne maison...

1er septembre : Voyage, voyage (bis)

Au lendemain du tirage du 2e tour, l’UEFA procède au tirage du 3e tour ! Et, en cas de qualification, c’est un nouveau déplacement qui attendra Reims. Cette fois à Malte (Hibernians) ou en Hongrie (Fehervar, ex-Videoton).

4 septembre : Le taulier confiné

Au "Championnat" des équipes de Ligue 1 touchées par le Covid-19, deux formations restent encore en lice sans aucun cas officiellement avéré depuis le début de l'épidémie : le FC Metz et le Stade de Reims. Début septembre, Arbër Zeneli et consorts passent un nouveau test. Les résultats tombent : un cas positif est détecté. Thomas Foket comprend tout de suite. «En arrivant au centre, on a vu que Yunis n'était pas làYunis Abdelhamid est en effet placé à l'isolement. Capitaine, taulier du club, homme-clé de l'organisation de David Guion, et un joueur qui n'a pas raté une seule minute d'un match de Championnat depuis le 30 avril 2018, soit 74 rencontres de suite. Il est forfait pour, au minimum, le déplacement à Angers, et surtout le rendez-vous de Genève. «Quand je vois l’appel du docteur, je comprends tout de suite, reconnaît le Marocain. Si c’est négatif, le doc n’appelle pas pour nous le dire. Quand je décroche, je sais que je suis positif

Pris d’éternuements depuis quelques jours, le défenseur central se dit qu’il a simplement pris froid. Pas de symptôme, mais un coup de fil à l’école et à la crèche de ses enfants : quatorzaine à la maison pour les Abdelhamid. Sportivement, la perte est immense pour Reims. Le docteur du club apprend la nouvelle à Jean-Pierre Caillot. «C'est quand même un petit coup de bâton derrière la tête, admet le patron. Tous les joueurs ont leur rôle, mais lui en a un particulier.» «C'est notre homme fort, celui qui est là pour remettre tout le monde en place», constate Xavier Chavalerin, qui doit alors prendre le rôle de capitaine. «J'ai d'abord pensé à lui, explique David Guion. Ne pas pouvoir disputer ce match de Coupe d'Europe alors qu'il s'est battu pour cette qualification, avec un rôle majeur, c'est une grande déception pour lui. L'idée était alors de se projeter avec les joueurs présents et d'amener de la confiance aux garçons susceptibles de le remplacer.» Car sans Abdelhamid, et avec le départ, cet été, d'Alaixys Romao, autre élément moteur du vestiaire, certains allaient devoir se révéler comme des leaders. «On va tout faire pour qu’il puisse jouer un match en Europe, s’exclame Thomas Foket, déterminé, au sujet d’Abdelhamid. On doit se donner à fond pour lui, ça, c’est sûr

10 septembre : Délégation spéciale à Delaune

Deuxième et dernier jour de la visite d'une délégation un peu spéciale pour le Stade de Reims. L'UEFA est en effet de passage dans le Grand Est pour anticiper une possible participation du double finaliste de la Coupe d'Europe des clubs champions à la phase de poules de la Ligue Europa. L'instance vérifie que l'enceinte d’Auguste-Delaune répond aux critères pour accueillir les rencontres. L’arène, qui n’était plus dans les registres de l’UEFA, notamment depuis sa rénovation en 2008, est visitée de fond en comble.

13 septembre : Pas en joie en Anjou

Après un nul animé à Monaco (2-2) et une piètre défaite devant Lille (0-1), le Stade de Reims ne brille pas vraiment en ce début de Championnat. Prendre des points à Angers serait une bonne idée pour se mettre en confiance à quatre jours de Genève. Capitaine sans Abdelhamid, Xavier Chavalerin tente donc de «sortir de sa personnalité. J'ai essayé de montrer la voie sur le terrain en allant dans les duels». Mais pas vraiment très expressif dans le vestiaire, Chavalerin laisse d'autres faire. A l'image de Tristan Dingomé, peu de temps de jeu mais dont la parole est écoutée à l'intérieur du groupe. A Angers, c'est Predrag Rajkovic qui se révèle dans le leadership, n'hésitant pas à allier la parole aux actes avec ce penalty arrêté face à Stéphane Bahoken en première période. «Quand il faut prendre la parole ou remettre en place les joueurs, il le fait à bon escient», apprécie Chavalerin au sujet de son portier.

Reims s'incline à Angers, le 13 septembre. (P.Lahalle/L'Equipe)

Si le milieu de terrain assure que son groupe n'a pas été perturbé par le forfait d'Abdelhamid, la prestation en Anjou manque pourtant de caractère. Nouveau revers (0-1). L'ambiance dans le vestiaire n'est pas au mieux. David Guion pose un constat : «Tous les entraîneurs sont pareils en ce début de saison, ils veulent mettre en place des choses. Pour nous, ça met un peu plus de temps.» Regrettant par exemple certaines blessures, notamment en attaque, qui ont freiné plusieurs éléments. «Mais on ne doute pas, promet le coach. On veut rester vigilant sur notre état d'esprit, et il faut que les garçons prennent conscience qu'il y a des progrès à faire.» Il est clair qu'on est loin du Reims version 2019-20. «On ne se dit pas qu'on n'a pas le niveau, tempère Chavalerin, au sujet de la Coupe d'Europe qui approche. Là, le début de saison est difficile, il faut retrouver notre esprit combattif et aller chercher des victoires comme on sait le faire, à s'accrocher pendant 90 minutes et ne pas relâcher. Là, il y a des petites erreurs, des cinq minutes d'inattention qui permettent à l'adversaire de trouver la faille.» Et en Europe, ça se paie encore plus.

Les tests douloureux. La folie du départ pour Genève. La très grosse tension de la rencontre. Le maillot d'Arsenal pour Jean-Pierre Caillot. Un supporter débouté... Jeudi, retrouvez la deuxième partie de notre carnet de bord consacré aux retrouvailles du Stade de Reims avec l'Europe.

Timothé Crépin , à Genève