(L.Hahn/L'Equipe)

Bundesliga x MLS, une idylle transatlantique

Les clubs de l'élite allemande investissent le marché américain, vivier de talents encore peu exploité. Une façon d'attirer à moindre coût les talents de demain, tandis que les franchises du Nouveau Continent tentent d'en tirer profit.

La douce nuit de Miami s’apparente à un théâtre idéal. Patrick Mahomes, le quarterback star des Kansas City Chiefs, survole le SuperBowl LIV et s’offre un aller-simple pour l’histoire du sport américain. De l’autre côté de l’océan, à quelques semaines d’intervalle, un autre nord-américain a les idées claires. Fahrenheit 33 à Stamford Bridge, Alphonso Davies fracasse Chelsea sous le maillot du grand Bayern. Il n’est qu’une rising star du marginal soccer, l’autre football, et personne ne s’est arraché la pub mi-temps pour cinq millions de dollars. Mais le Canadien, sourire ultra-bright, inaugure une carrière qui débute comme un débordement : à toute vitesse. Arrivé de Vancouver à 18 ans, replacé latéral et intronisé feu follet du couloir gauche, Alphonso Davies confirme les prédispositions américaines en Allemagne. Il poursuit la lignée de Bobby Wood ou Christian Pulisic autant qu’il assure l’avenir aux côtés de Giovanni Reyna, Weston McKennie, Tyler Adams et Cie. «Il y a deux choses qui font que c’est propice, avance Benjamin Ehresmann, ancien directeur du recrutement pour Red Bull, à New York et Leipzig. Les clubs allemands ont un bon réseau de scouting ici, et ils ont compris que c’était une opportunité. Puis les bons exemples du passé encouragent l’investissement du marché nord-américain. Chacun va venir tenter de trouver le nouveau Pulisic, le nouveau Adams, le nouveau Davies… Sans ces joueurs, peut-être que les choses n’en seraient pas là aujourd’hui.»

Héritage et facilités administratives

Par-delà le mimétisme, se dessine un lien étroit entre les deux pays, héritage du passé récent des deux nations. «Il y a les joueurs nés en Allemagne, issus de relations qui remontent à la seconde guerre mondiale ou, plus récemment, les jeunes de MLS qui partent en Bundesliga, explique Antoine Latran, responsable du site spécialisé Culture Soccer. Ils viennent du système académique américain. Mais la Bundesliga a l’habitude d’aller regarder. Ça ne date pas d’hier.» L’appétence germanique pour le soccer a cependant pris un nouveau tournant.

«Zach Steffen, le gardien titulaire de la sélection recruté par Man City, a dû être prêté en Bundesliga. En Allemagne, l'immigration est plus simple...»

Jurgen Klinsmann, débarqué à la tête de la sélection US en 2011, incite dès son arrivée l’exode européen des meilleurs éléments nationaux. L’Allemagne se transforme en point de passage privilégié. «Le vrai élan s’est confirmé à cette époque-là, argumente Clément Simonin, ancien joueur de MLS entre autres à l’origine du partenariat FFF-MLS. Klinsmann encourageait les internationaux à sortir de leur zone de confort et plusieurs facteurs font que l’Allemagne est en avance sur l’Angleterre.» Là où le Royaume-Uni impose un cahier des charges fâcheux pour obtenir un permis de travail et évoluer en Premier League, l’Allemagne se veut plus souple. «Zach Steffen, le gardien titulaire de la sélection américaine recruté par Manchester City, a dû être prêté en Bundesliga pour cette raison, étaye Antoine Latran. En Allemagne, l’immigration est plus simple. Il suffit d’un salaire et du statut confirmé d’athlète. Christian Pulisic et Gio Reyna, qui ont des passeports européens, ont même pu venir dès leur 16 ans.» Et à considérer les réussites allemandes face aux déceptions britanniques, la Bundesliga compte un avantage certain.

Tyler Adams face à Alphonso Davies. L'Amérique du Nord a de beaux jours devant elle. (Sascha Walther/Eibner/EXPA/PRE/PRESSE SPORTS)

German dream

Car si Elizabeth II et Donald Trump ont pour acquis le fait de partager la même langue, le contexte global de la Bundesliga se révèle propice à une adaptation réussie. «Déjà, tout le monde y parle anglais, poursuit Benjamin Ehresmann, aujourd’hui à Philadelphia Union. C’est relativement simple de venir, de s’intégrer et de se faire comprendre. La socialisation, la culture et le mode de vie en Allemagne sont des facteurs qui aident les joueurs américains. Cela fait partie de l’évolution du joueur et c’est parfois même plus important que le talent. Certains joueurs, par exemple Sud-Américains, n’arrivent pas à performer en Europe. Ce n’est pas qu’ils sont des joueurs moyens, seulement que le changement de culture est important.» Les affinités se traduisent également sur le terrain. Le jeu allemand correspond aux standards nord-américains, les mentalités aussi, les méthodes de travail encore plus. Daniel Stenz, à la tête du scouting à Vancouver lors de l’éclosion d’Alphonso Davies, y voit un paramètre prépondérant. «Le niveau athlétique est bon et les académies s'améliorent, explique l’actuel directeur technique du Shandong Luneng, en Chine. C'est toujours une manière différente de former des joueurs. Vous rivalisez avec de plus grands sports, la NFL, la NBA, la MLB, la NHL, avec tout ce qui fait l'ADN des athlètes américains. La Bundesliga convient à la préparation de ces joueurs, surtout que sa structure rend facile l’adaptation.»

De LA à Wolfsburg

Un bref résumé qui s’illustre par la montée en puissance de plusieurs joueurs, à commencer par celle d’Alphonso Davies. «L’éthique et la mentalité de travail sont évidentes chez ces joueurs, explique Alan Koch, l’un de ses entraîneurs au Canada. Ils ont une bonne approche de l’entraînement quotidien et de leur propre adaptation à un modèle de jeu. Alphonso, par exemple, c'est un athlète naturel, qui n'a pas peur et qui est prêt à travailler pour s'améliorer.» La latitude dont disposent les joueurs nord-américains semble aussi favoriser le développement. «Il y a encore d’autres facteurs que la langue, l’immigration ou l’intégration, croit savoir Antoine Latran. Les coaches ont l’habitude et la structure Bundesliga a une mentalité américaine, sans mauvaise surprise. Les Américains aiment ça. D’autant qu’on leur laisse du temps, comme on l’a vu pour Alphonso Davies. Physiquement et mentalement, la Bundesliga s’approche de la MLS et les joueurs sont très réceptifs à l’idée d’apprendre, d’être replacé et d’intégrer de nouvelles choses.»

«La pluie, le froid... Très différent de Los Angeles ! (rires)»

Et derrière la petite poignée de promesses déjà exposées à Munich, Dortmund, Schalke ou Brême, d’autres pointent le bout de leur nez avec réussite. «C’est un premier pas dans le football européen et la Bundesliga grandit, narre l’un d’eux, Ulysses Llanez, l’un de six U20 de Team USA ayant signé en Allemagne, attaquant prolifique parti de Los Angeles pour Wolfsburg. Tout le monde a fait en sorte que je m’adapte bien. C’est difficile au début, forcément. La pluie, le froid… Très différent de Los Angeles ! (rires) Mais je pense que le rêve de tout le monde, c’est de jouer ici. La Bundesliga nous offre une opportunité de jouer vraiment très jeune, encore plus qu’en MLS. Et beaucoup suivent l’exemple de Christian Pulisic.»

Ulyssez Llanez devrait faire ses grands débuts avec Wolfsburg très rapidement. (Gerrit Van Keulen/ANP SPORT/PR/PRESSE SPORTS)

Bayern, Texas Ranger

Un modèle qui résonne aussi chez Alex Mendez, milieu de terrain technique arrivé à Fribourg avant un départ l’été dernier à l’Ajax, aux Pays-Bas, l’autre contrée privilégiée : «Ce fut la meilleure décision pour mon développement et pour faire le saut vers l’Europe. C’est un peu cliché, mais c’était un rêve. Fribourg a tout mis en place pour que je me sente à l’aise à mon arrivée. La manière dont les gens m’ont accueilli a été importante. Ils m’ont pris en main. Je suis à l’Ajax désormais, tout le monde parle anglais, et c’est réellement parfait. L’Allemagne fait un très bon travail autour des jeunes et a un plan pour notre transition vers le football professionnel. Voir que beaucoup de nos compatriotes réussissent, ça nous encourage à le faire.» Chris Richards, défenseur du Bayern, semble lui déjà promis à l’équipe première. Sa percée caractéristique illustre d’ailleurs cette nouvelle dimension. Transfuge de Dallas pour un peu plus d’un million d’euros, le jeune international est la première recrue issue du partenariat entre le club texan et le champion d’Allemagne. «Les partenariats sont toujours efficients pour les clubs, estime Benjamin Ehresmann. Dallas-Bayern, c’est bien pour le Bayern qui peut récupérer des talents à faible coût ; et c’est bien pour Dallas qui bénéficie de l’expérience d’un des plus grands clubs dans le monde. Red Bull, de son côté, l’a fait avec ses propres clubs. Avoir des discussions autour du coaching, du jeu, de la philosophie, du marketing, des transferts... Ça permet à tout le monde aux Etats-Unis de progresser.» Bénéficiant de réseaux de scouting plus développés - pour ne pas dire plus créatifs et originaux - et d’accointances désormais affirmées, les clubs de Bundesliga poursuivent leurs emplettes. La ligue a installé des bureaux à New York, le Bayern Munich en a fait de même, symbole d’une révolution en marche.

Million dollar Buli

Reste désormais aux entités locales de profiter, au-delà des compétences, d’un retour sur investissement conséquent. «Historiquement, il y a eu d'excellentes initiatives donc il n’y a pas de raison que ça s’arrête, enchaîne Antoine Latran, de Culture Soccer. Le problème, c’est de commencer à récupérer de l’argent. Devenir une selling league, comme la MLS le dit elle même. Elle l’a fait avec Alphonso Davies ou Miguel Almiron. Mais Christian Pulisic, Weston McKennie ou Giovanni Reyna, il ne faut plus que ces joueurs partent gratuitement. C’est le nerf de la guerre.» Le système de solidarité FIFA, où les indemnités de formation profitent aux petits comme aux costauds, n’est qu’une récente esquisse aux Etats-Unis où, longtemps, les destins dorés se conjuguaient avec manque à gagner.

«Notre intérêt, c'est de garder les joueurs avec nous plus longtemps...»

«L’intérêt pour les clubs allemands, c’était aussi de venir ici, où les règles sont différentes, notamment au niveau des indemnités de formation, décrypte Jovan Kirovski, directeur technique des Los Angeles Galaxy. Pour nous, c’est une situation difficile. Mais la régulation a changé. Désormais, on essaye de signer les joueurs beaucoup plus tôt. Notre intérêt, c’est de garder les joueurs avec nous plus longtemps. Et même avec cela, la ligue reste attractive et les plus-value possibles.» Step by step, pour paraphraser Benjamin Ehresmann, la MLS tente d’adapter son modèle et cocher de nouvelles cases. Avec, en ligne de mire, l’organisation de la Coupe du monde 2026. La génération Adams, Pulisic, McKennie, Reyna, Llanez ou Mendez n’aura alors pas 27 ans et Jesse Marsch, le plus prometteur des entraîneurs américains, à la tête de l’exquise équipe de Salzbourg, aura tout juste 52 ans. Team USA a de beaux jours devant lui. Et la Bundesliga avec lui.
Antoine Bourlon