21st February 2019 - Europa League Football, Round of 32, 2nd Leg - Arsenal v FC BATE Borisov - Mesut Ozil of Arsenal after missing a chance - Photo: Charlotte Wilson / Offside. (L'Equipe)

Arsenal : Mesut Özil, les dessous d'un vague à l'âme

Entre une méforme chronique et des pépins physiques, Özil a souvent été écarté par Unai Emery cette saison. Mais l'Allemand semble être sur le retour après plusieurs performances encourageantes. Suffisant pour rebondir ?

En voilà un problème. Rares sont les clubs où le joueur le plus mieux payé ne joue pas régulièrement. Rares sont les clubs où l’entraîneur choisit de se passer de sa star pour des «raisons tactiques». Pourtant, il en est un qui a démonté les préconçus : Arsenal. Difficile de comprendre le marasme ambiant autour de Mesut Özil, de démêler le vrai du faux dans cette histoire où toutes les théories sont avancées pour expliquer sa mise à l’écart. On le dit mentalement et physiquement en difficulté, usé, plus apte (du tout) à faire les efforts pendant 90 minutes. Mais au final, le seul décisionnaire s’appelle Unai Emery. Et Özil n’a disputé que 20 des 41 rencontres d’Arsenal cette saison. Et sur 28 journées de Premier League, il n’a joué que 16 fois, dont seulement trois fois contre des membres du top 6. En conséquence de quoi, par rapport au Mesut Özil que l’on connaît, ses statistiques sont faméliques : cinq buts et trois passes décisives toutes compétitions confondues.

Des matches trop intenses ?

Mais il apparaît que le champion du monde allemand a refait surface ces derniers temps. Titulaire lors de deux des trois dernières rencontres d’Arsenal, Özil a notamment livré une performance de haute volée contre Bournemouth (5-1), avec un but et une passe décisive. Il rame désormais pour donner tort au boss, Unai Emery, qui a repris les rênes de l’équipe à Arsène Wenger en mai dernier, après vingt-deux ans de règne. L’ancien coach du PSG a régulièrement été questionné sur son meneur de jeu en conférence de presse. Souvent a-t-il aussi botté en touche, évitant les questions, apportant des réponses globales à l’effectif et non sur l’individu en lui-même. Aussi talentueux soit-il, Özil n’est pas, aux yeux d’Emery, au-dessus des autres : «Pour moi, il est comme un autre joueur […]. Parfois, il peut nous aider, à d’autres moments il ne peut pas car il est blessé ou peut-être parce que le match n’est pas pour lui. Mais c’est un bon joueur». Une tirade aussi sèche que significative.

Traduction : Özil est en train de rendre une performance qui vous fait oublier son salaire, les intrigues hors du terrain, la politique. C’est un privilège de voir un maître d’œuvre avec ce genre d’attitude.

Des signes avant-coureurs laissaient planer le doute dès le mois de novembre. The Guardian écrivait, après sa mise à l’écart contre Bournemouth, qu’Emery l’avait laissé de côté «car il ne pensait pas que le joueur pourrait être à la hauteur des attentes physiques contre les hommes d’Eddie Howe». «C’était un signal très clair quand Emery a expliqué que le match allait être trop intense pour lui, explique Charles Watts, journaliste pour Football London. Si l’entraîneur ne te fait pas confiance contre une équipe comme celle-là, ça veut dire beaucoup. Et c’est la même histoire contre les gros». Illustration (presque) parfaite : contre Tottenham (4-2) et Chelsea (2-0), Arsenal a obtenu des victoires de prestige, tant dans l’attitude que dans la qualité du jeu. «C’étaient les deux meilleures performances de l’équipe cette saison et Özil n’était pas là, rappelle Charles Watts. Chaque joueur pressait haut, mettait du rythme… C’est exactement ce qu’attend Emery de son équipe, et il ne croit pas qu’Özil puisse jouer de cette manière».

«Chaque joueur pressait haut, mettait du rythme... C'est exactement ce qu'attend Emery de son équipe, et il ne croit pas qu'Özil puisse jouer de cette manière»

Ce qui est cher n'est pas toujours précieux

En réalité, dès les premières semaines après la reprise de la Premier League, la situation de l’Allemand était incertaine, qu’importent sa notoriété et son salaire qui ne sont pas des facteurs qui rentrent en ligne de compte pour l’entraîneur espagnol. «Emery a été clair dans ses choix : le statut d’Özil en tant que joueur le mieux payé d’Arsenal ne lui garantit pas une place dans l’équipe», écrivait le Guardian fin-décembre. «Le salaire n’est pas important, je ne le connais pas parce qu’ils [les joueurs] sont pareils. Je leur dis tous la même chose», expliquait-il devant la presse pendant le Boxing Day. En fin de compte, la logique est toujours la même : Özil peut aider Arsenal avec ses qualités… quand le club en a besoin. Et c’est là qu’est toute la subtilité. 

Après la défaite contre West Ham (0-1) en janvier, Emery s’expliquait de nouveau sur le choix de se passer d’Özil. «Nous avions assez de joueurs pour gagner aujourd’hui. Nous avons décidé que ces joueurs [ceux alignés] seraient les meilleurs pour ce match, expliquait-il. Nous avons gagné avec lui, nous avons perdu avec lui. Un seul joueur ne fait pas la différence entre un match gagné ou perdu». Nouvelle diatribe assassine. Contre le BATE en seizièmes de finale aller de Ligue Europa (défaite 1-0), il n’était pas du voyage en Biélorussie, alors même que la veille, il s’entraînait avec ses coéquipiers au centre de Colney. Au regard de la performance des Gunners (défaite 1-0), il est difficile d’imaginer que l’Allemand aurait fait tâche. Et les problèmes récurrents de l’équipe pour déployer du jeu font que les fans ont davantage eu tendance à pointe du doigt Emery que le joueur. Les «raisons tactiques», plusieurs fois avancées par l’entraîneur, sont presque devenues un running-gag pour les supporters.

Créativité et prolongation piégeuse

Le London Evening Standard titrait après la débâcle de Borisov : «Arsenal doit tout simplement faire revenir d’exil Mesut Özil à mesure que l’inefficacité de son attaque est criante». La performance, si faible, laissait penser qu’Özil pouvait retrouver le onze de départ au retour. Et cela a été le cas, un mois après sa dernière sortie. Emery repassait en 4-2-3-1, avec l’Allemand comme meneur de jeu. «Je suis très content aujourd’hui, c’est ainsi que nous le voulons, se réjouissait-il après la rencontre. Il doit continuer, il a montré qu’il le voulait. Il a été important et positif». Mais celui qui a été le plus élogieux est son coéquipier, Alex Iwobi. «Nous savons qu’il est de classe mondiale. On a marqué trois buts parce qu’il jouait, lâchait-il. Je sais que si je fais un appel, il me verra. Espérons qu’il puisse continuer à jouer». Presque un appel du pied au coach. D’autant qu’avant la rencontre, le coach triple vainqueur de la Ligue Europa était (encore) revenu sur son cas. «Les cartes sont entre ses mains. Je lui ai dit d’être régulier, lâchait Emery. Je sais qu’il veut jouer, mais il doit être constant, et pouvoir disputer les matches sans être blessé ou malade pour voir le meilleur d’Özil avec nous».

L’aventure d’Özil à Arsenal a débuté en 2013 et a été marquée de beaux moments et d’un certain attachement avec les supporters. Même si, il faut l’avouer, son cas a souvent polarisé la fan-base des Gunners. 227 matches, 42 buts et 74 passes décisives plus tard, de l’eau a coulé sous les ponts. Début février 2018, Özil prolongeait son contrat avec Arsenal jusqu'en 2021 au terme d’un interminable feuilleton médiatico-sportif. Tout le contraire d'Alexis Sanchez, l'autre star de l'équipe, qui a finalement rejoint Manchester United dans un deal avec Mkhitaryan. «Les dirigeants ont été poussés dans leurs retranchements avec ce qui se passait avec Alexis, cela aurait été dramatique de perdre les deux au même moment, analyse Charles Watts. Özil en a bénéficié et il a eu ce qu’il voulait. Maintenant, Arsenal en paie le prix».

Les derniers mois ont été rythmés pour le champion du monde. De la photo prise avec Erdogan à la débâcle au Mondial en Russie jusqu’à sa retraite internationale, il a beaucoup été exposé. «Özil a toujours suivi les conseils de personnages forts en dehors du football. Son père, et après la brouille familiale de 2011, son agent et confident, Erkut Sogut», racontent les journaliste. La suite ? Une succession d’événements qui ont atteint un joueur déjà fragile mentalement. «Özil était le plus frustré quand il a été rejeté par sa ville d’origine de Gelsenkirchen, son école et qu’il n’a reçu ni message ni soutien de ses anciens coéquipiersMême avant la photo, il a toujours essayé d’être à la hauteur des attentes pour être un emblème de l’assimilation d’un Allemand aux racines turques».

Début février 2018, Özil prolongeait son contrat avec Arsenal jusqu'en 2021 au terme d'un interminable feuilleton médiatico-sportif.

Une personnalité et un mental fragiles

Mais comment a-t-on pu en arriver à cette indéniable baisse de forme ? Au-delà du génial passeur, sa personnalité est complexe, difficile à analyser. «Il est timide et introverti. Tout ce qui a toujours compté pour lui est ce qui se passe sur le terrain», raconte Ron Ulrich et Andreas Bock, auteurs d’un long-format sur le meneur de jeu allemand pour 11Freunde.

Aujourd’hui, compte tenu de son salaire, il est devenu un fardeau financier immense pour les Gunners. Cela s’inscrit dans un contexte plus large : la masse salariale d’Arsenal est (trop) importante, ce qui a des conséquences sur le recrutement (cf. le mercato hivernal, où seul Denis Suarez en prêt a rejoint le club). Les marges de manœuvre sont limitées. La question du futur d’Özil devient alors tout à fait légitime. «Ils ont un joueur qui ne joue pas, qui ne veut pas partir et pour lequel aucun club ne s’alignera sur son salaire de toute façon. Ils sont bloqués sans solution claire pour l’instant», analyse Charles Watts. Difficile d’imaginer comment la situation pourrait encore durer… A moins qu’Özil ne retrouve un temps de jeu régulier ? Le North London Derby contre Tottenham donnera une première indication. A l’Allemand de répondre présent.

Jérémy Docteur

«Même avant la photo (avec Erdogan, NDLR), il a toujours essayé d'être à la hauteur des attentes pour être un emblème de l'assimilation d'un Allemand aux racines turques»

Quel avenir ?

A peu près dans le même temps, Ivan Gazidis, alors directeur général d'Arsenal, déclarait que la nomination d’Unai Emery s’inscrivait dans une politique de long-terme. «Emery veut créer sa propre équipe à Arsenal, il veut avoir ses joueurs et se distancer de l’ère Wenger. Mais le salaire d’Özil rend cela compliqué», analyse Charles Watts. Sous Wenger, certains comportements, des performances en deçà des attentes pouvaient parfois être tolérées, la relation entre les deux hommes étant particulièrement forte. «Il s’épanouit quand il se sent en confiance et dans un bon environnement, en témoignent ses premières saisons au Werder et à Arsenal», expliquent Ron Ulrich et Andreas Bock. Pour autant, difficile de savoir l’état réel de la relation entre le joueur et son entraîneur actuel. «Elle est certainement plus tendue, concède Charles Watts. Qu’Emery fasse cela pour pousser Özil reste à voir. C’est assez clair qu’il préférerait ne plus avoir l’Allemand dans les parages».

«Ils ont un joueur qui ne joue pas, qui ne veut pas partir et pour lequel aucun club ne s'alignera sur son salaire de toute façon. Ils sont bloqués sans solution claire pour l'instant»