Arjen Robben of FC Bayern Munich during the UEFA Champions League group B match between RSC Anderlecht and Bayern Muenchen on November 22, 2017 at Constant Vanden Stock Stadium in Brussels, Belgium. (L'Equipe)

Arjen Robben (Bayern Munich) raconté par les victimes de ses crochets

Depuis qu'il a pris sa retraite, Arjen Robben laisse un vide dans le petit monde des ailiers. Il laisse surtout un peu de répit à ses adversaires, qui le racontaient à FF en janvier 2018.

«Maintenant, tout le monde me connaît et les défenseurs aussi. Mais ce n'est pas un problème, juste un nouveau challenge. À moi de les surprendre...» Les déclarations datent de juin 2006, et Arjen Robben, vingt-deux ans et joueur de Chelsea à l'époque, est conscient de son statut naissant. Près de douze ans plus tard, le moins qu'on puisse dire, c'est que le Néerlandais a relevé ce challenge haut la main. «À chaque fois qu'on me demande quel joueur m'a posé le plus de difficultés dans ma carrière, je réponds Arjen Robben, lâche Aly Cissokho, qui a affronté quelques cadors avec Porto, Lyon ou Valence. Pour moi, il est du même calibre que Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo. C'est un joueur virevoltant, avec une agilité et une vivacité incroyables. Quand il reçoit le ballon, le public attend qu'il fasse la différence, et ça pour un défenseur, c'est compliqué à gérer.»

Pourtant, malgré ses 235 buts, 182 passes décisives et 30 trophées accumulés de Groningue à Munich, en passant par le PSV Eindhoven, Chelsea et le Real Madrid, il est plutôt rare d'entendre le nom de l'ailier cité dans la même phrase que ceux des deux quintuples Ballons d'Or. Injuste ? «À son poste, derrière Messi, il est le meilleur joueur de sa génération, affirme Marcel Schäfer, ancien latéral gauche du VfL Wolfsburg. Tout ce qu'il a démontré, il ne l'a pas démontré pendant deux ou trois ans, mais durant dix, douze ans.» Oublié l'artiste égoïste, parfois truqueur, souvent blessé : au crépuscule de sa carrière, Arjen Robben force le respect.

«Il est trop rapide...»

Il y a fort à parier, aussi, que son nom reste dans les mémoires grâce à «la spéciale Robben», ce déboulé côté droit suivi de quelques crochets courts pour repiquer dans l'axe et placer une frappe enroulée du gauche au fond des filets. Dix-sept ans après ses débuts professionnels, ce mouvement reste sa plus belle signature... Et ça passe encore (presque) à chaque fois. Alors, c'est quoi le secret ? «Tout le monde connaît son crochet, mais on ne peut pas le stopper parce que c'est un geste de classe mondiale, décrit Schäfer, adversaire de Robben à dix reprises en Bundesliga. Quand vous avez vingt duels dans le match et que vous en gagnez quinze, c'est une belle performance... Mais il sera quand même passé cinq fois, et ça lui suffit pour être décisif. Beaucoup de gens disent : "Mais tacle-le, fais comme ci, comme ça !" Ouais... J'ai essayé ! Il est trop rapide...» À tel point qu'il avait battu un record de vitesse balle au pied lors de la Coupe du monde 2014 : 37 km/h lors son mythique rush pour conclure une démonstration collective des Oranje face à l'Espagne (5-1).

«Quand vous le regardez, vous vous demandez pourquoi les défenseurs n'arrivent pas à lui prendre le ballon, avouait son compatriote Rafael Van der Vaart en 2010. Mais il est tellement rapide que vous êtes toujours en retard.» Et ça, ça n'a pas changé avec les années. «Quand on voit uniquement ses buts, on se dit : "Mais pourquoi ça marche tout le temps ?", alors qu'il faut voir l'ensemble d'un match pour comprendre, explique le Français de Mayence Gaëtan Bussmann. Le problème, c'est qu'il ne va jamais faire la même chose. Il peut déborder trois fois pour centrer, sauf que la quatrième il va rentrer pour frapper du gauche. C'est pour ça que ça fonctionne si souvent. Les défenseurs anticipent et ça lui ouvre des espaces. Ce crochet, il ne va peut-être le faire que trois ou quatre fois dans le match, sauf que les fois d'avant, il aura débordé ou lancé un coéquipier...»

Robben, un adieu en fin de saison ?

Mais plus encore que la technique ou la vitesse, c'est peut-être le mental d'Arjen Robben qui rend sa «spéciale» si... spéciale. Marcel Schäfer : «Il peut avoir perdu dix duels en un contre un, il va y retourner à fond la fois suivante. C'est ce qui fait toute la difficulté de défendre face à lui. Beaucoup de joueurs qui ne se sentent pas dans un bon jour après quelques duels perdus vont faire des choses simples le reste du match. Pas Robben. Il va constamment tenter sa chance, pendant 90 minutes. C'est très difficile à gérer et c'est sa plus grande force ! Il ne renonce jamais, il garde toujours confiance en lui et en ses qualités. Ça démontre une grande mentalité.»

Durant ses huit saisons communes de Bundesliga avec l'ancien homme de verre, Schäfer a été un témoin privilégié de l'impact et de l'évolution de son adversaire. «Il est resté le même joueur, tout en faisant progresser tous les aspects de son jeu. Pour en avoir discuté avec certains de ses coéquipiers, il est l'un des premiers arrivés au centre d'entraînement, et l'un des derniers à en partir. C'est un gros travailleur, pas quelqu'un qui se contente d'avoir reçu un don de Dieu. Et ça se voit sur le terrain, dans sa gestuelle, son body language. Tout ce qui compte pour lui, c'est la victoire, la passion. Et ça se ressent chez ses adversaires.» Quelques mois après son arrivée en Bavière, en 2013, Pep Guardiola confessait d'ailleurs être tombé «amoureux» d'Arjen Robben : «Dans toute ma carrière, j'ai peut-être vu un ou deux joueurs aussi professionnels.» Le directeur sportif de l'époque, Matthias Sammer, ne disait pas l'inverse : «Arjen est le parfait exemple de la façon dont un joueur plus âgé peut encore apprendre et se développer, refusant de se satisfaire de ce qu'il a accompli. Je ne peux qu'encourager chaque jeune joueur à l'observer et apprendre de lui.»

Cissokho : «Sur le premier duel, il faut être dur»

Au moins aussi incontrôlable à trente-quatre ans (il les fêtera le 23 janvier) qu'à vingt-huit, celui qui a mis un terme à sa carrière internationale à l'automne a-t-il des points faibles sur lesquels appuyer ? «La meilleure solution, c'est de lui mettre la pression dès le début du match, le maintenir dos au jeu, estime Bussmann. Dès qu'il arrive à se retourner pour arriver en face à face, ça devient compliqué, donc si on ne met pas d'impact physique supplémentaire d'entrée, on est mort ! Si j'avais un conseil à donner, ce serait de ne pas oublier de le faire défendre. Il faut le fatiguer un peu, l'obliger à faire des courses.» «Il ne faut pas avoir peur, jamais, mais le voir comme un challenge», complète Schäfer, qui avoue néanmoins avoir ressenti de la «nervosité» avant ses premiers face à face avec le divin chauve.

En retraçant ses affrontements en Ligue des champions face à "Robb'n'roll", Aly Cissokho n'a pas honte de mettre l'accent sur l'option physique : «Face à lui, il faut gagner les premiers duels, c'est vraiment très important. Il ne faut pas le laisser prendre l'ascendant. Quitte à laisser traîner le pied pour montrer qu'on est là... Parce que s'il se met à l'aise sur ses premiers dribbles face à son adversaire direct, ça devient encore plus compliqué. Sur le premier un contre un, le premier contact, il faut être dur, le coller, le mettre en difficulté psychologique. Qu'il comprenne que ce ne sera pas un match facile !» Entrer dans sa tête, en somme, mais pas tout seul...

Les "Robben Rules", solution incomplète

«La clé quand on l'affronte, c'est d'effectuer constamment des prises à deux, parce que tout le monde, de l'entraîneur à vos coéquipiers, sait que c'est impossible de défendre face à lui en un contre un», complète ainsi Marcel Schäfer, qui a régulièrement été associé à Ricardo Rodriguez, un autre latéral gauche, pour tenter de museler le Néerlandais. «Avant les matches face au Bayern, notre coach mettait souvent l'accent sur la protection des côtés, donc on doublait les postes.» Gaëtan Bussman acquiesce : «Pour moi, c'est la meilleure solution, compte tenu de leur possession et de leur utilisation des latéraux.» «C'est plus facile comme ça, mais dans un match à haute intensité, il y a toujours des moments où on se retrouve en un contre un, donc il faut être prêt», nuance Aly Cissokho, qui tentait les jours précédents la rencontre de «jauger le niveau» de son adversaire à l'aide d'analyses vidéo.

Mais ces "Robben Rules" ont aussi leurs limites. «Il ne s'agit pas uniquement de lui, lâche Schäfer, au Bayern le danger vient de partout, et de l'autre côté il fallait faire la même chose avec Franck Ribéry !» Pas de quoi, pour autant, transformer les souvenirs de nos témoins en cauchemars. Bussmann, Cissokho ou Schäfer préfèrent parler de «défi», ou d'une «opportunité de se confronter à l'un des meilleurs». D'autant que le trentenaire est tout sauf un mauvais garçon. «Il n'utilise jamais la provocation verbale, ni sur le terrain, ni en dehors. Il a un excellent état d'esprit, on peut parler avec lui normalement. Par contre, quand il a le ballon dans les pieds, il change de mode, il est dans son univers, il sait exactement ce qu'il a à faire...» Et comment surprendre son adversaire. Pendant bien des années.

Cédric Chapuis