Arbër Zeneli, la joyeuse promesse : de la Suède au Kosovo, portrait du nouveau visage du Stade de Reims

Il est né en Suède, a choisi le Kosovo à 21 ans, a des parents albanais, est arrivé au Stade de Reims cet hiver, a une joie de vivre communicative mais surtout un talent qui pourrait faire parler : portrait d'Arbër Zeneli, avec qui les défenses de Ligue 1 commencent tout doucement à faire connaissance.

C'est comme s'il lui avait donné la force pour réaliser quelque chose de grand. Nous sommes le 20 novembre 2018. En cet après-midi funeste, Zekë Zeneli, le grand-père paternel d'Arbër, s'éteint. Conscients de la relation spéciale qui unissait les deux hommes, les parents du joueur décident de garder cette triste nouvelle confidentielle. La cause ? Le match historique opposant le Kosovo à l'Azerbaïdjan quelques heures plus tard. Avec un enjeu majeur : la première place du groupe de la Ligue des Nations. Et donc la possibilité de disputer un Final Four pour obtenir un ticket pour l'Euro 2020. Deux points séparent les deux pays, le Kosovo doit donc assurer. Il va faire bien mieux en claquant un 4-0 à Pristina, la capitale. Arbër Zeneli enfile la cape du héros en signant un triplé, le premier de sa carrière. Le Kosovo termine invaincu de son groupe, avec la meilleure attaque de toute la Ligue D (15 buts).

La fiche d'Arbër Zeneli

L'occasion pour Zeneli de conforter un peu plus son statut de nouvelle icône au Kosovo. Ce jeune pays d'un peu moins de deux millions d'habitants, ancienne province de la Serbie, a proclamé son indépendance en 2008. Très instable politiquement et en proie à des conflits constants, le Kosovo a vu sa Fédération de football être acceptée par l'UEFA puis la FIFA en mai 2016. Ne pouvant jusque-là disputer que des matches amicaux, le pays a donc pu entrer dans la course aux qualifications des différentes compétitions. Et ainsi convaincre les joueurs de le rejoindre. Car jusque-là, les Kosovars optaient davantage pour des sélections comme l'Albanie, la Suisse voire la Belgique (exemple avec Adnan Januzaj). Mais aussi la Suède. Et c'est au pays de Zlatan Ibrahimovic qu'il faut se rendre pour revenir au commencement du parcours d'Arbër Zeneli.

La guerre fait fuir la famille Zeneli

Février 1995. C'est à Säter (4 600 habitants), à 200 kilomètres de Stockholm, que naît Arbër Zeneli. Le premier enfant de la famille. Et ce, quatre ans après que le père, originaire de Mitrovica, et la mère, native de Prizren proche de la frontière albanaise, soient arrivés en Suède alors qu'ils vivaient à Selac, au nord du Kosovo. «Mes parents ont émigré en 1991 pendant les guerres de Yougoslavie, explique-t-il à France Football. Aujourd'hui, ma maman est employée pour une chaîne de supermarchés tandis que mon père travaille pour une société d'énergie, il vérifie les compteurs électriques et procède aux relevés.» Le jeune Arbër voit très vite le football se présenter à lui. «C'était tôt. J'ai toujours aimé le foot, et j'ai rapidement eu un ballon dans les pieds.» Un premier club avec Halsingarden, près de Norslund, où vit la famille. Dès ses onze ans, cap au sud du pays, près de Göteborg. Il intègre le club d'Elfsborg. Son histoire avec le foot pro n'en est qu'à son commencement. À une époque où la première idole se nomme Kakà, le Brésilien. «J'étais fan du Milan AC et de lui, il était beau à voir jouer», dévoile-t-il. Amateur du Santiago-Bernabeu madrilène («avec San Siro, des stades mythiques»), Zeneli n'est pas non plus insensible à Cristiano Ronaldo... et même du PSG, lui qui n'hésite pas à porter la veste de survêtement du club de la capitale.

Surtout, le garçon fait parler de lui bien au-delà de son club. Il arrive dans les radars des équipes de jeunes du pays et fait son apparition chez les U17 (il marque un but face aux Bleuets d'Anthony Martial et de Thomas Lemar en mars 2012).

(Le but à partir de 1:19:15)

Il signe son premier contrat professionnel en décembre 2013. L'aventure peut débuter. «Même s'il était jeune quand il est arrivé en équipe première (NDLR : Zeneli dispute son premier match de Championnat le 31 mars 2014, à 19 ans), il s'est très rapidement adapté et a réussi très vite, se rappelle Sebastian Holmen, coéquipier à Elfsborg, aujourd'hui au Dynamo Moscou. À ses débuts, tout le monde savait qu'il allait devenir un très bon joueur. Ce qui me faisait le plus réagir, c'était sa vitesse avec le ballon, sa rapidité. En tant que défenseur, j'espérais toujours ne pas jouer contre lui à l'entraînement.» «Tu voyais sa qualité, sa vitesse, mais aussi sa capacité à sprinter, il pouvait courir en permanence, enchaîne Adam Lundqvist, voisin de Zeneli à Elfsborg. C'était fort en un contre un. Un des meilleurs que j'ai affrontés.» Le défenseur du Houston Dynamo en MLS a même dû employer d'autres moyens. «Je ne voulais jamais le laisser passer, quitte à lui mettre des tacles ! C'était moche (rires.). S'il passait, je lui mettais des coups de pied.»

«Tout le monde savait qu'il allait devenir un très bon joueur. Ce qui me faisait le plus réagir, c'était sa vitesse avec le ballon, sa rapidité. En tant que défenseur, j'espérais toujours ne pas jouer contre lui à l'entraînement.»

Quand Lionel Messi entre en scène

À peine deux mois plus tard, il remporte déjà son premier titre avec la Coupe de Suède (1-0 face à Helsingborg). Dès la saison suivante, il devient indiscutable, cumulant vingt-sept titularisations en Allsverskan (D1 suédoise), et surtout dix pions ! Holmen raconte : «Je me souviens d'un but contre Norrköping, il a remonté tout le terrain, a passé tous les adversaires un par un. Tout le monde était choqué, et je crois même que lui aussi l'était.»



Un but qui lui vaut alors le surnom de Lionel Messi au sein de son équipe. Aujourd'hui encore, du côté d'Elfsborg, on parle toujours de ce but mémorable. Zeneli ajoute même trois pions en Coupe nationale. Le tout entrecoupé d'un titre de Champion d'Europe Espoirs, toujours en 2015. Dans le groupe, il ne dispute pas une seule minute et voit ses coéquipiers dominer le Portugal de Bernardo Silva en finale.

De telles performances ne passent pas inaperçues. Au mercato d'hiver 2016, Heerenveen l'accueille pour deux millions d'euros. Zeneli quitte une Suède qui sait tenir là un élément plus que prometteur pour le futur de la sélection Bleu et Jaune. «C'était un bon gars, très professionnel. et c'est d'ailleurs sûrement pour ça qu'il n'était pas resté très longtemps...», assure Holmen. «Nous avons eu des joueurs talentueux qui sont passés chez nous au cours des dix dernières années, mais Arbër est certainement l'un des plus doués que j'ai vus à Elfsborg», confie Isak Eden, supporter du club suédois.

Aux Pays-Bas, le niveau augmente, oui. Mais Zeneli se montre à la hauteur. Et Heerenveen compte très vite sur son attaquant de 21 ans. Pour son deuxième match, son club se rend à Cambuur. Le nouveau numéro 13 hérite du ballon sur le côté droit, repique dans l'axe comme il adore, avant de décocher une frappe dans la lucarne. Son premier but aux Pays-Bas fait gagner son équipe.

Sur les terrains d'Eredivisie, Zeneli fait étalage de sa palette technique. Capable de rendre folles les défenses avec sa vitesse, tout en se montrant précis dans le dernier geste et même de marquer de la tête lui qui ne culmine qu'à 1,76m.

«J'ai passé une très bonne année avec lui, se rappelle pour FF Stefano Marzo, défenseur de Lokeren en Belgique, qui évoluait juste derrière Zeneli à Heerenveen. C'était amusant de jouer avec Arbër. Je lui donnais le ballon et je ne le voyais plus. Je n'avais pas de souci. C'était facile ! Il allait toujours vers l'avant.»

«Le Kosovo, c'est mon sang, mes origines»

En cette année 2016, la carrière d'Arbër Zeneli va connaître un nouveau tournant. En août, il annonce abandonner les sélections suédoises pour rejoindre l'équipe du Kosovo. Un coup sur la tête pour les Scandinaves. Zeneli est même considéré comme un traître. Sur les réseaux sociaux, le joueur se défend, assumant cette décision. «Le Kosovo, c'est mon sang, mes origines, prolonge Zeneli pour FF. Aujourd'hui, je suis très fier de porter le maillot de la sélection kosovare.» «J'apprécie ce genre de joueur car il a vraiment fait le choix du Kosovo à un moment où le pays et la sélection étaient des grands points d'interrogations, constate Bernard Challandes, le sélectionneur. Aujourd'hui, beaucoup plus de joueurs qui ont la double nationalité et qui ont évolué une grande partie de leur vie dans un autre pays commencent à réfléchir. Lui a choisi le Kosovo (NDLR : Alors que l'Albanie, pays d'origine de ses parents, était également une possibilité). On le sent, c'est un vrai Kosovar.» Adam Lundqvist, coéquipier de Zeneli chez les jeunes suédois, sait que ce dernier était certain de son choix : «Je me suis dit que nous venions de perdre un super joueur. Au début, j'étais triste. Mais je le connais lui et sa famille et j'ai compris que c'était un grand honneur de pouvoir jouer pour le pays de ses parents. Il a dû recevoir beaucoup de critiques mais aussi beaucoup d'amour.»

Arbër Zeneli, avec le numéro 10, lors de sa première sélection avec le Kosovo. (Goran Stanzl/EXPA/PRESSE SPORT/PRESSE SPORTS)

Déjà dans l'histoire du Kosovo

Une première cape le 6 octobre face à la Croatie (0-6) avant plusieurs matches amicaux. L'un d'eux va lui permettre d'ouvrir son compteur : à Zurich, le 29 mai 2018, Zeneli claque un doublé face, comme un symbole, à l'Albanie. Pour une victoire 3-0. Le petit attaquant participe à la naissance de sa sélection. En septembre dernier, le Kosovo dispute pour la première fois de son histoire un match officiel dans son stade Fadil Vokrri, du nom d'une ancienne icône nationale, qui avait porté les couleurs de Nîmes et de Bourges, et qui s'était surtout énormément battue pour faire reconnaître son pays aux yeux du football mondial. Face aux Iles Féroé, Arbër Zeneli marque le premier but de l'histoire du Kosovo dans ce stade. Sa sélection s'impose 2-0. Les 13 000 spectateurs commencent doucement à aimer leur nouveau joyau. Avec la suite que l'on sait, donc, et cette première place de Ligue des nations. «Il joue pour l'équipe, les gens l'aiment beaucoup, et il en est fier, lance Bernard Challandes. Il a été célébré comme un héros à Pristina contre l'Azerbaïdjan. Il y a un tel enthousiasme au Kosovo pour les joueurs. Il fait partie de ceux qui ont gagné l'amour des fans. Il est aussi très aimé pour sa simplicité.» Pour un sélectionneur qui se régale : «Il fait partie de ces footballeurs de talent, mais qui sont aussi capables de beaucoup courir et beaucoup travailler. En recevant des statistiques des joueurs de toute l'Europe au niveau de la vitesse et d'autres critères, il n'était pas aussi rapide que Kylian Mbappé, mais il avait des chiffres remarquables, au-dessus de la moyenne. Du très haut niveau ! Et comme, en plus, il n'est pas maladroit avec ses pieds...»

«Dès qu'il a touché le ballon, on s'est tout de suite rendu compte que c'était un joueur spécial»

À l'approche du mercato d'hiver 2019, la cellule de recrutement du Stade de Reims, qui a identifié la cible Zeneli depuis plusieurs semaines, présente un montage vidéo à David Guion, l'entraîneur. L'effet est immédiat. Le coach visionne également les rencontres face à l'Ajax et au PSV Eindhoven. Le feu vert est donné par toutes les composantes du club. Zeneli en fin de contrat dans dix-huit mois, Reims passe vite à l'action devant une concurrence forte et aux aguets (les noms, entres autres, de l'Ajax, Chelsea, Naples ont circulé le concernant). Le Kosovar, élu joueur de l'année 2018 dans son pays, débarque en Champagne contre un chèque estimé à quatre millions d'euros. Une destination qui a même surpris chez lui tant beaucoup le voyaient déjà plus haut. «Il est tout en détermination, c'est vraiment intéressant», note Guion qui lui offre rapidement ses premières minutes puis une première titularisation le 24 février à Montpellier (4-2) pour un premier but (sur penalty). Dans la Marne, Zeneli ne tarde vraiment pas à convaincre. Dès son premier entraînement, certaines mines rémoises sont presque impressionnées. «Dès qu'il a touché le ballon, on s'est tout de suite rendu compte que c'était un joueur spécial, qu'il allait nous apporter et qu'il allait devenir important», se remémore Tristan Dingomé, le numéro 20 du sixième de Ligue 1. Si le talent et les promesses sont là, David Guion a déjà ciblé les futurs axes de travail : «Il faut qu'il comprenne tous les aspects tactiques, notamment dans le replacement, dans l'idée de venir bosser en binôme dans le couloir et dans le bloc équipe. Il y a un gros travail tactique à effectuer.»

Arbër Zeneli découvre la Ligue 1, avec déjà de belles promesses.

«Il adore le français, lance de son côté Mergim Vojvoda, coéquipier en sélection. J'ai essayé de lui apprendre certains mots, mais ce n'étaient pas toujours les plus sympas, rigole-t-il. Je lui ai aussi parlé de "frérot", "Ça va la famille". Il aime beaucoup écouter la musique française comme Lacrim ou MHD.» Un français qu'Arbër Zeneli a tenté de retranscrire lors de ses premiers pas au centre d'entraînement rémois en s'appliquant à dire : «Bonjour, je m'appelle Arbër Zeneli» devant chaque nouvelle personne qu'il croisait. Comme si le garçon voulait bien faire, comme toujours. Mais ce fan du jeu vidéo Fortnite restera-t-il longtemps dans la cité des sacres si son talent se confirme à ce niveau ? «Il a une finition incroyable, il ne lui en faut pas trois pour marquer, note Mergim Vojvoda. C'est déjà un beau palier. Je suis certain qu'il peut atteindre les plus grands clubs d'Europe.» «Je ne pense pas que ce sera sa dernière étape, conclut Adam Lundqvist. S'il continue ainsi cette progression, le plafond est très haut. C'est vraiment un gars qui bosse dur, qui est très pro, il a tout pour lui. Et il ne s'arrêtera jamais. Il ne se contentera jamais de ce qu'il a. Il en voudra toujours plus.» De là haut, Zekë, le grand-père, doit être sacrément fier.

Le sourire, un leitmotiv

Un David Guion qui ne cache également pas sa satisfaction de voir son nouvel élément s'intégrer rapidement dans le vestiaire. «Il est souriant, très avenant, il va facilement vers les autres.» Voilà en effet une autre force d'Arbër Zeneli. Toutes les personnes interrogées l'ont dit : le sourire est très largement présent sur son visage. «Tu veux avoir ce mec dans un vestiaire, confie Stefano Marzo. C'est un mec tout le temps très heureux, il est toujours en train de rire et de faire des blagues.» «Vous n'avez jamais un souci, se félicite Bernard Challandes. Il est toujours prêt, avec du plaisir. C'est un cadeau pour un entraîneur. Il a du talent et ne vous emmerde jamais.» Adam Lundqvist ne cache pas avoir eu quelques fous rires avec son ancien coéquipier. «Au début, il était très calme, se marre-t-il. Mais ensuite, il est très marrant, avec beaucoup d'énergie, il rit, il fait beaucoup de bruit, il hurle même parfois ! En sélection U21, on était dans la même chambre, on a regardé The Conjuring (un film d'horreur). Il avait tellement peur qu'il hurlait.»

«Je suis certain qu'il peut atteindre les plus grands clubs d'Europe»

Timothé Crépin (avec Jérémy Docteur )