(L'Equipe)

Alisson-Ederson, éloge de la relance

Les deux gardiens, concurrents au sein de la Seleçao, brillent par leur jeu au pied en Premier League. Dans des registres différents, ils se révèlent essentiels pour Liverpool et Manchester City.

Les deux gestes ont eu lieu à quelques heures d'intervalle. Alisson, d'abord, qui d'un dégagement en volée basse d'une extrême précision trouvait Firmino à plus de cinquante mètres, qui servait ensuite Mo Salah, parti chercher un penalty face à Arsenal (5-1). Le lendemain, à 240 miles au sud de la Mersey, Ederson héritait d'un ballon sous pression et effectuait une passe courte plein axe pour Fernandinho, cassant pas loin de deux lignes. Les deux gardiens, au-delà de leur nationalité brésilienne commune, partagent leur excellence dans la relance. En Angleterre, un pays où le portier s'est longtemps contenté d'envoyer de longs ballons au «target man» sur le front de l'attaque, leurs qualités ont détonné. Mais Liverpool et Manchester City, leurs clubs respectifs, ne seraient pas vraiment les mêmes sans eux.

Ederson pour aspirer le bloc adverse, Alisson pour la verticalité

C'est d'ailleurs pourquoi Pep Guardiola est allé chercher Ederson au Benfica en 2017. Le Brésilien était alors réputé pour être l'un des meilleurs au monde dans le jeu au pied. Et l'entraîneur espagnol, qui essuyait l'affront d'une partie de la presse anglaise pour son jeu à haut risque, ne dérogea pas à ses principes. «Je suis désolé mais jusque au dernier jour de ma carrière de coach, j'essaierai de faire jouer l'équipe à partir du gardien», se défendait le technicien en 2016 après la déroute des siens face au FC Barcelone (4-0). Rien de plus logique. Pour aspirer le bloc adverse, créer des espaces et trouver ses joueurs libres, Guardiola a besoin d'un portier adroit et plein de sang-froid. Et surtout, qui ne force pas sa nature, à l'image d'Ederson, fan de la première heure de Rogério Ceni, gardien aux 132 buts. «Il est ma seule idole et il restera ma principale inspiration, déclarait l'intéressé dans un portrait du Guardian. Je regarde toujours des vidéos montrant ses sublimes parades et sa qualité pour débuter l'action de son équipe de derrière.» Ces préceptes rompent avec l'idée – encore solidement ancrée en Angleterre et en France – selon laquelle l'équipe ne doit prendre aucun risque dans sa surface. Mais outre-Manche, l'arrivée d'entraîneurs adeptes de la relance courte a peu à peu démocratisé la science de la relance, opposée aux dégagements tous azimuts et peu académiques. Ainsi, Ederson est le gardien qui réussit le plus de passes courtes en Premier League cette saison (17,6 par match en moyenne) juste après Kepa (19,1) et devant Lloris (17,1) et... Alisson (17).

Ici, les passes d'Ederson lors du match face à Southampton le week-end dernier. avec essentiellement des transmissions courtes, dont certaines risquées vers l'axe du terrain. (StatsZone)

Le portier de Liverpool en réalise sûrement moins car Jürgen Klopp n'est pas l'évangile du jeu de position comme peut l'être Guardiola. Pour l'Allemand, si un long ballon peut apporter de la verticalité et créer le déséquilibre, il n'y a pas à cogiter, à l'image de la somptueuse relance en demi-volée face à Arsenal. Mais il n'en est pas moins bon dans ses transmissions courtes et dans ses prises de risques. En Italie, il avait déjà la réputation d'un gardien très technique, capable d'éliminer le pressing par la passe, voire par le dribble. «C'était clair qu'il était un joueur influent avec le ballon, mais je n'avais pas vu ça à ce point, peut-être parce que la Roma pratique un football différent», concédait Jürgen Klopp après la rencontre face aux Gunners.

«C'était clair qu'il (Alisson, NDLR) était un joueur influent avec le ballon, mais je n'avais pas vu ça à ce point, peut-être parce que la Roma pratique un football différent»

Comme Ederson, Alisson (ici contre Arsenal le week-end dernier) n'hésite pas à relancer court. Mais on constate également que face à une équipe qui tente de presser haut, Alisson cherche ses joueurs offensifs sur des longues relances - précises qui plus est. (StatsZone)

Alisson «une marche plus haut» qu'Ederson

Avec la sélection brésilienne, les deux gardiens sont en concurrence. Mais Alisson garde une longueur d'avance, ce qui s'explique par le fait qu'il est plus performant sur sa ligne. En Premier League cette saison, il culmine à 84,9% de parades réussies, ce qui en fait le meilleur gardien dans cet exercice, loin devant Ederson (68,6%). Le choix est logique, et Ederson l'a lui même reconnu en octobre dernier, admettant que son coéquipier était «une marche plus haut que lui.» Mais cette hiérarchie doit frustrer le Citizen. Son histoire et son épanouissement personnel en tant que «goleiro» porte à la fois le charme et les difficultés d'une carrière débutée dans l'insécurité du quartier d'Osasco à Sao Paulo, à l'opposé d'Alisson qui a grandi dans le cadre d'un football beaucoup plus institutionnel, dans un centre de formation dès l'âge de dix ans. Ederson, lui, a débuté latéral dans une équipe créée pour sortir les enfants de la violence des favelas avant de se mettre au futsal en tant que goal volant. Ce qui explique peut-être aujourd'hui le retard qu'il accuse sur certains points de son jeu. Mais Alisson et lui ont eu le mérite de détricoter l'idée selon laquelle le Brésil serait incapable de produire de bons joueurs à ce poste. Un préjugé que regrettait déjà Claudio Taffarel, ancienne légende de la Seleçao, dans une interview pour la FIFA en 2000. Dix-neuf ans plus tard, celui-ci doit se réjouir de voir deux de ses successeurs au sommet de la Premier League.

Antonin Deslandes