madjer (rabah) (JL.Fel/L'Equipe)

Algérie : Rabah Madjer, l'homme de la situation ?

Rabah Madjer est le nouveau sélectionneur de l'Algérie. Ce choix fait, et fera encore parler tant il a surpris pour un homme qui n'a plus entraîné depuis plus de dix ans.

L'ancienne star du FC Porto est un personnage clivant. Ces dernières années, reconverti comme consultant télé, ses prises de positions sur des joueurs qu'il va désormais diriger n'ont pas manqué de saveur... Pour "son" Algérie, qu'il a défendue à 87 reprises entre 1978 et 1992, l’ancien Ballon d’Or Africain alimente le débat. Est-il l’homme de la situation ? Nous avons ouvert le Maghreb Football Club a trois spécialistes. 

Derradji : «Nous allons perdre une génération talentueuse»

Meilleur commentateur arabe en 2104 et 2016, Hafid Derradji, journaliste algérien installé au Qatar et travaillant pour beIn Sports Mena, est une personnalité, et une voix très célèbre dans le monde arabe. Ses prises de positions sont très écoutées ou commentées sur les réseaux sociaux au pays des Fennecs. Il estime que l'arrivée de Rabah Madjer est une très mauvaise nouvelle pour la sélection.
 
«Je ne pense pas du tout qu'il soit l'homme de la situation. Je ne parle pas du joueur qu'il a été, mais bel et bien du soi-disant sélectionneur qui n'a pas travaillé depuis une dizaine d'années. Plus encore, il n'a même pas les diplômes requis pour cette tâche. On ne peut pas nommer un sélectionneur parce qu'il a un vécu dans le football. Tout le monde sait en Algérie que ce n'est pas un choix de la Fédération. Le bureau fédéral était surtout intéressé par l'option Djamel Belmadi. Et subitement, le lendemain, le nom de Madjer sort du chapeau. S'il a été imposé, la vraie question c'est pourquoi ? Je pressens un grand malaise dans le football algérien, et pas uniquement au niveau de la sélection nationale. Nous allons perdre tout ce qu'on acquis ces dernières années, et surtout une génération talentueuse. Sur les plateaux télé, Rabah Madjer a beaucoup critiqué les joueurs binationaux, et aussi parfois les hommes qu'ils sont. Il a toujours été systématiquement dans l'opposition de ceux qu'on appelle les joueurs professionnels en Algérie. Cette décision va avoir une répercussion chez les binationaux. Ils savent ce qui a été dit sur eux. J'imagine qu'il va y avoir un vrai malaise lors de sa première prise de fonction. Je me demande ce qu'il va leur dire maintenant. Il y a un conflit générationnel, c'est une évidence. Les codes et les comportements ont changé alors qu'il me semble être resté ancré dans le football des années 80...

Les joueurs ne vont pas être impressionnés par sa carrière parce qu'ils ne l'ont jamais vu jouer. Quant au terrain, il a toujours été pour le joueur local lors de ses analyses à la télé. J'aimerais bien savoir comment il va monter une équipe compétitive avec des joueurs du cru en sachant que le Championnat est faible. En même temps, il émet des doutes sur les les binationaux qui, eux, ne joueraient pas dans des grands clubs européens. Pourtant, l'apport de cette filière a été extraordinaire dans l'histoire du foot de ce pays. Ils ont répondu présent au sein de l'équipe du FLN pour la lutte de l'indépendance. Plus récemment, ils ont largement contribué aux deux participations en Coupe du monde, et notamment avec un résultat historique en 2014. Rabah Madjer est dépassé dans sa vision du football. Et il va vite être rattrapé par la réalité... Il vit cette nomination comme une revanche par rapport à l'ancien président de la Fédération algérienne football, Mohamed Raouraoua. Ce dernier n'a jamais voulu de lui parce qu'il estimait qu'il n'avait pas les compétences pour le poste. Il a réussi son coup sauf que je ne pense pas qu'il mesure ni la responsabilité ni la difficulté de la tâche.»

Juillard : «Le choix de Madjer est très discutable»

Journaliste à Foot365 spécialisé dans le football africain, Patrick Juillard a couvert six Coupes d'Afrique des Nations. Il est également consultant sur les ondes de Rfi dans le talk Radiofootinternational. S'il attend pour juger, "Pat Ju", comme il est surnommé dans le milieu, est très réservé sur la pertinence de ce choix.  
 
«Le choix de nommer Rabah Madjer au poste de sélectionneur national me paraît très discutable. On comprend bien que le nouveau président de la FAF, Kheireddine Zetchi, souhaite revenir à des recettes plus "locales", après une ère Raouraoua marquée par un appel quasi-exclusif aux joueurs binationaux.

Mais choisir Rabah Madjer pour incarner ce nouveau cap me paraît risqué : d’abord parce que le personnage est clivant, et que sa présence en première ligne risque d’entretenir un débat stérile sur les mérites comparés des uns (locaux) et des autres (binationaux). Ensuite parce que, s’il est vrai que le réservoir local devrait être mieux exploité (toute sélection africaine doit aujourd’hui puiser dans ses deux réservoirs, local et binational, pour optimiser ses chances), cela passe par un travail à partir de la base (meilleure détection, amélioration de la formation dans les clubs, etc.) plutôt que par une nomination au sommet. Cela me paraît symptomatique de certains maux de l’Algérie, où le changement est trop souvent imposé d’en haut.»

Baya : «Madjer, c'est notre Zidane à nous»

Il est l'un des porte-drapeaux des supporters des Fennecs en France. Mohamed Baya est bien connu sur les réseaux sociaux pour ses opinions tranchées sur la sélection algérienne. Face au scepticisme général, il voit en l'intronisation de Madjer presque un miracle pour El-Khedra.
 
«C'est exactement ce qu'il nous faut. C'est notre Zidane à nous. Les gens vont le respecter. Et puis, ce que les gens ne perçoivent pas, c'est la qualité du staff technique. Il est entouré par du lourd, le duo Menad-Ighil. Ce dernier a gagné le Championnat avec l'ASO Chlef en 2011. C'est lui-même qui a dit que Soudani allait devenir un grand attaquant des Fennecs. A ce moment-là, tout le monde s'est foutu de lui. Ighil est quelqu'un de respecté en Algérie. Quant à la polémique sur Madjer anti-binationaux, ce n'est pas vrai. Il dit simplement qu'il compte trois ou quatre grands joueurs évoluant en Europe. Il dit simplement que cela ne sert à rien de les empiler à tous les postes sans qu'il n'y ait une réelle valeur ajoutée. Si on avait continué avec la politique de l'ancien président de la FAF, le petit Youcef Attal, on ne l'aurait jamais vu. Et on serait toujours avec Zeffane ou Cadamuro.

Ce staff veut refaire du Vahid Halilhodzic avec des stages de joueurs du Championnat. Je vous rappelle que c'est ainsi qu'ont émergé Islam Slimani, Essaid Belkalem, Hilal Soudani ou Abdelmoumen Djabou. Au final, au Mondial 2014, sur les sept buts inscrits par les Verts, cinq le sont par des joueurs ayant été formés en Algérie. Ça, il faut bien le dire parce que les gens l'oublient. La Tunisie va se qualifier avec 80% de locaux, donc cela marche. Il nous faut des Européens qui ont la dalle ! Sinon, ils ne servent à rien. Parce que la sélection, ce n'est pas que les matches de gala, c'est aussi aller au charbon. Je le répète, il faut donner la chance aux locaux pour mettre de la concurrence. Sur cet aspect-là, je suis d'accord avec Rabah Madjer. De toute façon, on est tout en bas, on n'a plus le choix. La vérité, c'est que le vrai responsable de tout çà - même s'il a eu des résultats - c'est Mohamed Raouraoua, l'ancien président de la FAF, parce qu'il a fait le choix du 100 % pros. Vous trouvez normal que Cadamuro, qui joue en L2 à Nîmes, soit encore appelé ? Il y a des défenseurs en Algérie bien meilleurs qui connaissent le continent.»

Nabil Djellit