19 July 2019, Egypt, Cairo: Algeria's Djamel Benlamri bleeds after a challenge during the 2019 Africa Cup of Nations final soccer match between Senegal and Algeria at the Cairo International Stadium. Photo: Gehad Hamdy/dpa | usage worldwide (Gehad Hamdy/DPA/PICTURE ALLIAN/PRESSE SPORTS)

Algérie : Djamel Benlamri, le long combat du gladiateur

D'El Harrach à Lyon. Des épreuves indélébiles, un talent reconnu, mais sa sélection qui le boude et l'Europe qui ne veut pas de lui. Jusqu'à ce que tout s'éclaire enfin il y a à peine un an. Avec notamment les témoignages de Djamel Belmadi et de Youcef Atal, FF vous raconte le parcours unique de Djamel Benlamri, le guerrier qui n'a jamais lâché.

Irrespirable. Quart de finale de la Coupe d'Afrique des Nations 2019. En ce début de soirée à Suez, en Egypte, Ivoiriens et Algériens se disputent un ticket pour le dernier carré de la compétition. Jonathan Kodjia ayant répondu à Sofiane Feghouli, les deux sélections vont connaître leur destin aux tirs au but. Rami Bensebaini, Maxwel Cornet, Andy Delort. 2-1 Algérie. Wilfried Bony se loupe. Adam Ounas aggrave l'addition avant que Max-Alain Gradel ne permette aux siens de garder espoir. Youcef Belaïli a le tir de la qualification au bout de son pied. Il frappe le poteau. Dans la foulée, Serey Dié peut égaliser, mais il touche à son tour du bois. C'est l'explosion et le soulagement pour tout le peuple algérien. Mais aussi pour le sélectionneur, Djamel Belmadi, et ses joueurs.

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Le coach des Fennecs voit Djamel Benlamri, son défenseur central, prier puis se rapprocher de lui : «Il prie intensément, décrit Belmadi pour France Football, et il me dit ensuite : "Pendant la séance de tirs au but, j'ai prié Dieu. J'ai dit ok, je ne recommencerai plus ça et ça." Il a fait un "pacte" avec Dieu pour que, si on passait, il arrêterait si ou ça. Je n'ai jamais su ce que c'était mais j'espère qu'il a respecté son deal.»

Un premier combat dès l'enfance

La CAN 2019, on le verra plus tard, le top départ d'une nouvelle carrière pour Djamel Benlamri. Mais que voulait-il donc bien dire à Djamel Belmadi ? Pour comprendre, il faut refaire toute son histoire. Né un 25 décembre 1989, Benlamri est issu d'un quartier populaire de la banlieue d'Alger, El Harrach. Quartier qui va marquer son coeur à jamais. C'est ainsi qu'aujourd'hui, dès qu'il rentre au pays, si le club local dispute un match, soyez sûr que vous y apercevrez le défenseur de l'Olympique Lyonnais. «Il a vécu des trucs incroyables, raconte Walid Bencherifa, ancien coéquipier de Benlamri, au sujet d'El Harrach. Il est passé par des mauvaises années. Son quartier, c'était un peu chaud, c'est difficile d'en sortir.» «J'étais choqué, reconnaît Ahmed Djadjoua, médecin du club de la JS Kabylie qui raconte une conversation avec Benlamri sur sa jeunesse. Une enfance très, très difficile. Sa famille n'était pas très aisée et quand il était petit, il se battait tout le temps, était toujours dans les conflits. Il a arrêté les études très tôt. Il n'était pas destiné à sa vie d'aujourd'hui.» D'ailleurs, Walid Bencherifa se souvient d'une phrase signée Benlamri : «Même lui disait : "Par rapport à mon passé, je ne sais pas ce que je fais dans le foot." Il n'en revenait pas.» Très attaché à ses parents, notamment sa mère, Benlamri se forge un caractère et une personnalité. «Mon père et ma mère n'étaient pas riches, narrait-il dans Le Progrès. Ils ont divorcé quand j'avais six ou sept ans. Je ne peux pas oublier ma mère car quand ils ont divorcé, elle a tout fait pour mes frères et soeurs, pour nos études. Elle était femme de ménage, elle était en souffrance.»

Question foot, c'est avec le NA Hussein Dey (NAHD), à Alger, qu'il se lance en D2, puis en D1. Là-bas, arrière droit, on dit de lui qu'il est le successeur de Chabane Merzekane, légende du pays et du NAHD. Benlamri participe activement à la remontée du club en D1 en 2011. «Un an après, il avait été sollicité par le RC Lens et le Sporting Braga», révèle Amine Akrouche, suiveur du NAHD, qui se souvient d'un Benlamri arrivant et repartant de l'entraînement en bus, voire même en stop.
Relégué avec le NAHD, le club supporté par son père, Benlamri veut voir plus haut. Pas d'Europe, mais un départ pour la JS Kabylie, multiple champion national et double vainqueur de la C1 africaine. Lounis Hamrioui, le kiné, le voit débarquer pour des examens d'avant-saison. En attendant le rendez-vous chez le cardiologue pour un test d'efforts, il comprend à qui il a affaire : «Il me dit : "Moi, on me met un mur devant moi, je fonce dessus tête baissée, je n'ai pas peur." Cela s'est confirmé sur le terrain. C'est quelqu'un qui m'a beaucoup marqué.» Jamais blessé («Je crois que je ne suis jamais intervenu pour le soigner. Je n'avais pas de problème avec lui», Hamrioui), Benlamri débarque en revanche dans un autre monde. A la JSK, les joueurs internationaux sont nombreux et il doit alors prouver qu'il a sa place. «Dès qu'il a commencé à enchaîner, tout le monde se disait : "Qu'est-ce qu'il fait là ce joueur ?"», remarque Bencherifa.

«Moi, on me met un mur devant moi, je fonce dessus tête baissée, je n'ai pas peur.»

Certains s'en sont arrachés les cheveux. Djadjoua : «(François) Ciccolini (NDLR : coach de la JSK de Benlamri pendant quelques mois entre 2014 et 2015) avait des difficultés avec lui. Il en avait marre. Djamel était toujours en train de faire quelque chose pour se montrer. Avec (Zineddine) Mekkaoui (son coéquipier), ils étaient inséparables. Il leur a dit : "Quand je partirai de la JSK, je vais mettre une photo dans un cadre dans le salon et je balancerai des fléchettes." Ils n'étaient pas du tout gérables.» Zineddine Mekkaoui n'est justement pas en reste pour raconter ses souvenirs, sourire aux lèvres, évidemment. Il y a d'abord cette sortie en bateau, en jour de match de Coupe, qui a mal tourné : sensible sur l'eau, Djamel Benlamri est directement parti à la sieste derrière, complètement barbouillé. Pas idéal pour préparer une rencontre qui sera perdue le soir même. «Je me rappelle aussi de cette fois où on a perdu un match à domicile, poursuit Mekkaoui. On est rentrés là où le club nous logeait et on avait faim. On voulait aller manger mais on avait peur des supporters. Sauf que deux peintres, qui étaient venus travailler la journée, avaient laissé leurs combinaisons. Elles étaient remplies de couleurs. On est sortis avec ça pour ne pas se faire remarquer. Une idée de Djamel !»

Fléchettes, Ciccolini, mal de mer et peintre

Mais il est aussi difficile pour Djamel Benlamri de comprendre les exigences au quotidien pour rêver plus grand. C'est en creusant ce sujet qu'on peut analyser pourquoi il n'a peut-être pas pu aller voir plus haut plus vite à l'époque. «L'hygiène de vie, il avait du mal, il n'avait pas l'habitude, avoue Ahmed Djadjoua. Il n'aimait pas trop les séances de récupération, il évitait toujours les massages. Mais, encore une fois, il ne se blessait jamais ! Je lui lançais : "Il faut qu'on te soumette à des études, à des tests, parce que ce n'est pas normal !» Exemple aussi pendant ce stage en Tunisie. Walid Bencherifa refait le film : «Djamel à l'entraînement, tu as l'impression que c'est un feignant, qu'il ne veut pas travailler. C'était un joueur talentueux, mais ce n'était pas le genre à travailler dur. Il est né comme ça ! Lors du stage, il y avait un préparateur physique italien à qui Djamel lance : "T'es fou, t'es malade, tu vas nous tuer !" Djamel a arrêté son entraînement et est monté dans sa chambre. On se demandait ce qu'il faisait ! Il a ensuite présenté ses excuses. Le staff a compris que Djamel était comme ça. Il gère ses entraînements... Certains cravachent, sont généreux, se donnent à fond pour avoir leur place. Djamel, ce n'est pas le cas.» «En dehors du terrain, si quelqu'un le voit, il ne va jamais penser que Djamel va donner un rendement pareil, renchérit Ahmed Djadjoua, le docteur de la JSK, avec le sourire. Il donne l'impression de quelqu'un qui n'a pas d'assiduité, qui n'est pas régulier. C'est une tête brûlée ! C'est son côté frivole... Entre le Djamel du terrain et le Djamel en dehors du terrain, on dirait deux personnes différentes.»

«Ciccolini au duo Benlamri-Mekkaoui : «Quand je partirai de la JSK, je vais mettre une photo dans un cadre dans le salon et je balancerai des fléchettes.»

Benlamri-Mekkaoui, époque JSK.

Décrit par tous nos témoins comme quelqu'un qui aime la plaisanterie et faire rire (Bencherifa : «Si tu restes avec Djamel pendant quinze jours dans une chambre, tu ne vas pas le regretter. Tu vas vouloir rester encore plus. Tu rigoles tout le temps...»), Djamel Benlamri se sert de cette certaine détente jusque dans des moments couperets. Nous sommes en mai 2014. Finale de la Coupe d'Algérie au sommet entre la JSK et le MC Alger. L'enceinte de Blida est archi comble et la pression est à son maximum. «Il fallait gagner à tout prix, note Lounis Hamrioui. Un de nos latéraux demandait aux autres de ne pas lui passer la balle quand il était dans notre camp, par peur de faire une connerie. Djamel, dès qu'il avait le ballon, il lui donnait. L'autre la perdait et la mettait en touche. Il se retournait vers Djamel pour l'insulter.» «C'était Zineddine Mekkaoui, rigole Walid Bencherifa. Djamel rigolait alors qu'on était en pleine finale. Le mec pétait les plombs. Ensuite, Mekkaoui est monté d'un cran et je suis passé arrière gauche.»

Blacklisté chez les Fennecs

Néanmoins, sur le terrain, Benlamri répond présent (Mekkaoui : «Il rigole avec tout le monde, mais quand il est sur le terrain, il ne connaît personne»). Et même bien plus. Beaucoup aiment voir son côté guerrier et gladiateur sur le terrain. Zineddine Mekkaoui, son partenaire : «Il était tellement guerrier qu'a chaque fois, il rentrait dans la chambre, il disait : "Ecoute Mekkaoui, demain, si on perd, on va faire la guerre".» Quand Ahmed Djadjoua enquille : «Il avait toujours cette phrase : "Jugez-moi sur le terrain." Et à la fin des matches, personne ne lui parlait...» Au point d'être considéré comme l'un, si ce n'est le meilleur joueur du Championnat. Il est cependant boudé par la sélection nationale dirigée par Vahid Halilhodzic. La faute à un rassemblement qui a mal tourné en 2012. Benlamri, exclu pour un écart de conduite, termine blacklisté. «Je n'étais pas écarté pour raisons sportives, tranchait le principal intéressé dans Le Progrès. Les mêmes joueurs jouaient depuis six ou sept ans sans grands résultats. Moi, j'étais bien mais on ne m'appelait même pas. Ils ne m'ont jamais dit pourquoi et je n'ai pas cherché à savoir.» «Avant, il réalisait de belles saisons, mais on ne l'a jamais appelé, souligne Youcef Atal, le latéral de l'OGC Nice et coéquipier de Djamel Benlamri chez les Fennecs. Quand tu vois que tu as ta place mais que tu n'es pas dedans... Il a été fort, il a encore cherché, encore travaillé. Il a dû faire beaucoup de sacrifices pour résister.» Benlamri devient un sujet de débat dans le pays et les supporters de la JS Kabylie n'hésitent pas à lui apporter leur soutien : «Ils avaient accroché une banderole qui disait : "Benlamri est aussi Algérien", comme pour dire qu'il avait toute sa place en équipe nationale», rembobine Hamrioui. «Cela le touchait de ne pas y être, confirme Djadjoua. Mais il ne le montrait pas. Il m'a dit : "Un jour ou l'autre, je jouerai en équipe nationale." Il n'a jamais désespéré. C'est la particularité de Djamel : il te montre qu'il est fort, qu'il est solide, mais il faut pénétrer un peu son monde pour trouver un Djamel fragile, au grand coeur.»

Une seule année à Sétif et puis s'en va. L'envie est de quitter le pays pour voir autre chose. L'Europe ne lui ouvre toujours pas ses portes. Direction l'Arabie Saoudite. «Il lui a manqué un bon manager (agent), regrette Mekkaoui. En Algérie, des gens l'ont sabordé. Il a beaucoup souffert. Il était dégoûté du Championnat. C'est pour ça qu'il est vite parti en Arabie Saoudite.» «Quand tu es joueur en Algérie, c'est difficile d'en sortir, reconnaît Youcef Atal. Il n'y a pas beaucoup d'agents qui peuvent t'emmener en Europe. Et comme il n'avait pas eu sa chance en équipe nationale qui peut ouvrir des portes...» A Al Shabab, en Arabie Saoudite, il est élu meilleur joueur étranger du Championnat au terme de sa première saison. Le pays change, pas la mentalité, ni la performance : «Il a été trop, trop bon, admire Faruk Ben Mustapha, son partenaire tunisien à Al Shabab. Un guerrier que même les spectateurs des équipes adverses aimaient beaucoup.»

Forgé et marqué par son enfance et ses racines, le solide mais néanmoins sensible Djamel Benlamri va connaître un autre événement qui va le changer pour toujours : alors qu'il avait annoncé qu'il y avait 80% de chance qu'il rejoigne la deuxième division allemande à l'été 2014, il est toujours un joueur de la JSK pour l'exercice 2014-15. En août, en tout début de saison, dans des circonstances tragiques et encore obscures, après une défaite face à l'USM Alger, Albert Ebossé, alors attaquant de la JSK et proche de Benlamri, décède sur le chemin des vestiaires. «Benlamri a été le plus marqué, dit Ahmed Djadjoua. C'était le seul joueur présent à l'aéroport au moment où le corps d'Albert Ebossé a été transporté chez lui. Quand on a fait le travail psychologique avec les joueurs, on a fait plus de travail avec Djamel qu'avec les autres.» Au point à l'époque que de nombreux éléments de la JSK, dont Djamel Benlamri, pensent à stopper leur carrière. Le choc est immense au sein d'une formation qui subira de nombreuses secousses cette saison-là. Mais qui va piocher dans ses ressources collectives pour faire front et empêcher la descente du club. «On a passé une année noire, relate Malik Azlef de la JSK. Lui m'a dit : "On va sauver le club." Il a aidé. Il a toujours été auprès des joueurs, il encourageait. Lors du match pour le maintien face à Constantine, sans public, il a joué un rôle de manager. C'est mon meilleur souvenir de lui.»

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Benlamri, le généreux

L'heure est au départ de la JSK. L'Europe ? Tout le monde pense qu'il a largement le niveau, mais c'est loin d'être évident. Ahmed Djadjoua : «Il était très ambitieux. Il me disait qu'il venait d'un quartier populaire, qu'il allait jouer au haut niveau. D'un côté, il était rêveur, mais il me disait aussi : "Je vais rester à la JSK à vie." Il ne parlait pas beaucoup d'Europe.» Il reste en Algérie. Mais cette fois, direction Sétif. «Il était arrivé avec de bonnes intentions, relate Farès Hachi, partenaire de l'époque, mais par la suite, il y avait beaucoup de changements et on n'a eu pas le meme feeling avec certains entraîneurs. A ce moment, je pense qu'il a eu certaines propositions que Sétif a refusées. Il s'est braqué. La fin de son contrat s'est mal passée.» Au niveau de sa carrière, Benlamri stagne, tout en se montrant toujours aussi impressionnant : «Je me souviens d'un match de Ligue des champions où il ne fallait pas qu'on perde. Il avait joué numéro 6 et avait fait un match de très, très haut niveau. Ce qu'il dégageait, c'était patron. En Championnat, aussi, il effectuait des interventions défensives, on se demandait comment il pouvait faire ça dans l'espace terrestre, sourit Hachi. Il a impressionné sur beaucoup de matches.» Mais Farès Hachi découvre aussi le Benlamri hors terrain, le Benlamri généreux, autre caractéristique de l'homme. «Un jour, j'atterris à Alger. Il vient me chercher pour rentrer à Sétif. On arrive sur une aire de repos. Des gens le reconnaissent et lui demandent des vêtements du club. Il est allé dans sa voiture et a quasiment tout donné ! Des survêtements, des polos...» Autre souvenir très marquant lors d'un voyage au Soudan en C1 africaine : «C'est un pays assez pauvre. On faisait la balade d'avant-match. Djamel voit un petit enfant qui vend des mouchoirs, des bonbons. Il va le voir et lui donne une somme d'argent qui aurait permis de racheter tout le stand, voire même plus. Le petit voulait donner son stock à Djamel lui a dit de tout garder. Djamel, c'est l'humain, avant tout l'humain.»

Une porte ouverte, oui, mais comme un jeune qui arrive dans un groupe, le coach prend son temps. Pas de Benlamri lors de la double confrontation face au Bénin (2-0 ; 0-1). «Sur ce premier rassemblement, j'ai vu quelqu'un de tranquille, de très calme, qui avait peut-être muri, qui avait une certaine forme de sagesse, dépeint Djamel Belmadi. Ce n'était pas quelqu'un qui s'excitait tout seul. Il a pris ça comme un nouveau départ.» Celui qui a terminé sa carrière à Valenciennes promet de la transparence à Benlamri : «On a parlé de feuille blanche, que les compteurs étaient mis à zéro et que chacun, au rythme de la méritocratie, pourrait montrer de quoi il est capable.» S'il ne le lance pas face aux écureuils du Bénin, Belmadi constate de ses propres yeux qu'il ne s'est pas trompé et que cette convocation ne sera pas un essai sans lendemain : «Peut-être avait-il cette idée en tête qu'il aurait véritablement sa chance, continue le sélectionneur algérien. Aux entraînements, j'ai pu voir qu'il n'était jamais mis en difficulté face à des Riyad Mahrez, Sofiane Feghouli, Yacine Brahimi. On voyait un joueur très bon dans l'intelligence de jeu, l'anticipation, le placement, capable de sortir le ballon proprement. Il n'y avait pas de panique chez lui quand il s'agissait d'intervenir et de relancer. Des premiers souvenirs très positifs.»

«En Algérie, des gens l'ont sabordé. Il a beaucoup souffert. Il était dégoûté du Championnat. C'est pour ça qu'il est vite parti en Arabie Saoudite.»

Alors entraîneur au Qatar, Djamel Belmadi est curieux : «J'avais un oeil avisé sur les différents joueurs algériens évoluant dans les pays du Golfe, notamment en Arabie Saoudite, un Championnat assez relevé, avec souvent des grands attaquants qui viennent, appuie le sélectionneur des Fennecs. Et il se trouve que c'est un défenseur central qui les muselait tous assez facilement.» Une première saison hors de son Algérie réussie donc, avant qu'une grave blessure à la cheville, avec déchirure ligamentaire ne le stoppe sèchement en février 2018. Le meilleur est pourtant à venir.

Quand Belmadi veut se faire sa propre idée

Huit mois plus tard, dans le cadre d'une double confrontation très importante pour les qualifications à la prochaine Coupe d'Afrique des Nations, le nom de Djamel Benlamri figure dans la liste de Djamel Belmadi en octobre. En place depuis août, l'ancien joueur de l'Olympique de Marseille donne enfin l'opportunité à l'ancien de la JSK de porter le maillot des Verts. «Il a été sélectionné naturellement, note Belmadi à FF. On m'avait un peu expliqué son passé. J'aime savoir quelle est l'histoire des joueurs, notamment avec l'équipe nationale. On m'a souvent dit qu'il avait été présent à plusieurs regroupements sans avoir réellement sa chance de pouvoir montrer de quoi il était capable. Certains m'ont avancé son manque de professionnalisme, une forme de nervosité qui le desservait. Je voulais me faire mon propre avis. Il est bon d'aller chercher qui est qui.» Et d'analyser, après connaissance du parcours tortueux : «Avec le potentiel qu'il a, c'est vrai que s'il avait été mieux pris en main, si tout ce qui entoure le professionnalisme, le Championnat local, son environnement, lui-même... C'est vrai qu'il aurait dû partir plus tôt en Europe. On dit souvent qu'il a été assez pris en grippe, que c'est un incompris : peut-être que lui aussi n'a pas fait, à un certain moment, tout ce qu'il fallait pour justement s'épargner ces différents jugements négatifs.»

«Aux entraînements, j'ai pu voir qu'il n'était jamais mis en difficulté face à des Riyad Mahrez, Sofiane Feghouli, Yacine Brahimi. On voyait un joueur très bon dans l'intelligence de jeu, l'anticipation, le placement, capable de sortir le ballon proprement. Il n'y avait pas de panique chez lui quand il s'agissait d'intervenir et de relancer.»

«Il avait envie de marquer le coup, avec un esprit revanchard, c'est le moins que l'on puisse dire, sur toutes ces années où il aurait pu et aurait voulu jouer, remarque Djamel Belmadi. Chose qu'il a accompli de manière absolument remarquable. Sa motivation était à son paroxysme.» L'ancien milieu de terrain de Manchester City était également pleinement satisfait d'avoir trouvé la bonne alchimie en charnière centrale : «On la cherchait, poursuit-il. Avec Aissa Mandi, on a fini meilleure défense et Djamel Benlamri y est pour beaucoup. Sa grinta, son envie d'être intraitable derrière. Contre des Sadio Mané, des grands joueurs, personne n'a réussi à vraiment le mettre en difficulté. Il y a sa dureté, sa rage, mais aussi beaucoup d'intelligence dans le jeu.» Car Djamel Belmadi tient aussi à ne pas limiter Benlamri à son activité défensive. «On l'oublie mais, techniquement, il est capable de relancer proprement, de mettre des ballons longs importants, de casser les lignes. Il y avait une certaine connivence avec Youcef Belaïli, Baghdad Bounedjah. Ce n'est pas loin d'être un joueur complet.» La connexion Belmadi-Benlamri est installé, et c'est bien parti pour durer : «On peut compter sur lui, on peut aller à la guerre avec lui, on peut lui faire confiance. Et il vous le renvoie bien.» «Cette Coupe d'Afrique, affirmait Benlamri dans Le Progrès, c'est la plus belle chose qui me soit arrivé dans ma carrière.»

L'histoire est en marche. De retour en sélection le mois suivant, Djamel Benlamri est titulaire à Lomé, au Togo, pour une nouvelle journée de qualification pour la CAN. 3-0 après une demi-heure. 4-1 au final. Le ticket pour l'Egypte est validé. Voici un premier match référence pour les Fennecs version Belmadi. Avec Benlamri sur le terrain. Il ne sortira plus du onze. Djamel Belmadi : «C'est vrai qu'il en avait, entre guillemets, gros sur la patate : le fait qu'il n'a pas eu réellement sa chance en équipe nationale alors qu'il en avait envie, qu'il était très attaché à son pays. J'ai rencontré une personne qui avait ça en lui. Avec une forme d'appréhension de se dire : "Est-ce que ça va être encore la même chose ?". A un certain âge où on a plus trop envie de patienter. A partir du moment où on lui a donné sa chance, il a pu se lâcher.»

Le trio M'Bolhi-Benlamri-Zeffane savoure sa victoire en Coupe d'Afrique des Nations. (Oliver Weiken/DPA/PICTURE ALLI/PRESSE SPORTS)

L'Europe est enfin là. Une chance peut-être unique de pouvoir rattraper tout ce temps perdu. «Je me suis dit : "Enfin !", il a eu tout ce qu'il cherchait, félicite Walid Bencherifa. Signer dans un grand club alors que ça aurait dû être le cas il y a sept ou huit ans !» «Djamel, il n'a pas peur, c'est un courageux, enchaîne Youcef Atal. Toute cette rage, avec cette envie de jouer en Europe, de montrer, de faire des bonnes choses. En arrivant à Lyon, il était trop content. J'espère qu'il va nous faire deux, trois, quatre bonnes saisons ! A lui de prouver, de montrer, de nous faire kiffer.» Une seule apparition pour le moment à son actif. A Lille, Marcelo expulsé, Rudi Garcia lançait Djamel Benlamri pour rééquilibrer son équipe. Entrée fracassante et marquante. Sans suite

Une CAN XXL

Il devient du coup très vite incontournable en sélection. Sur le terrain, bien sûr, par ses aptitudes, mais aussi, et peut-être surtout, à l'intérieur du groupe où sa personnalité fait l'unanimité : «C'est un gars qui est toujours positif, confirme Youcef Atal. Il est magnifique dans un groupe, toujours là à ramener le sourire. Il aime travailler, avancer, il n'a peur de rien. Quand il est dans un groupe, ça se voit. C'est lui qui fait les blagues, il nous fait toujours rire. Tous les joueurs l'aiment.» Moins de cinq sélections depuis son arrivée, mais déjà un rendez-vous d'envergure avec la CAN 2019. Et un peuple qui attend un sacre continental depuis bientôt trente ans. Inexpérimenté, oui, mais Benlamri se révèle comme jamais, offrant une compétition d'un très haut niveau («Une CAN magnifique», selon Youcef Atal). 570 minutes jouées sur 660 possibles (il a été mis au repos lors du troisième match de poules), sur le pré de la première à la dernière minute. Lors de la finale face au Sénégal, comme pour le symboliser, il est victime d'une blessure au visage. En sang, il tient sa place jusqu'au bout.

Avec une titularisation dans l'équipe type de la compétition (troisième joueur le mieux noté par FF).

«On peut compter sur lui, on peut aller à la guerre avec lui, on peut lui faire confiance. Et il vous le renvoie bien.»

Et pourtant, toujours pas d'Europe. Après la finale remportée face au Sénégal le 19 juillet 2019, Djamel Benlamri retourne en Arabie Saoudite. Sa situation est floue. En conflit avec son club à plusieurs reprises, il est convoité par d'autres formations du pays comme le Al-Hilal de Bafétimbi Gomis. Un dernier match en mars 2020, puis plus rien. Le Covid-19 n'a pas aidé, oui, mais il arrive au bout d'un cycle et semble dans une impasse sportive. A 30 ans, difficile d'y croire encore, surtout quand vous êtes défenseur, un peu perdu dans le Golfe. Jusqu'au 6 octobre, à 00h22, et le tweet de l'Olympique Lyonnais annonçant l'arrivée de l'Algérien pour un contrat d'un an plus une année en option.

«J'espère qu'il va nous faire deux, trois, quatre bonnes saisons ! A lui de prouver, de montrer, de nous faire kiffer.»

«Pour vous dire la vérité, c'est un Championnat qui m'excite», martelait Benlamri dans Le Progrès au sujet de la L1. Comme pour les Fennecs, il va attendre son heure. «C'est un défenseur central, sa carrière n'est pas terminée, positive Belmadi. Il peut durer. Il a largement les capacités de faire une brillante carrière. C'est un super mec, un super joueur.»

Et les compagnons de route de Djamel Benlamri de porter leur regard sur cette récompense européenne. «Il n'a pas eu une vie facile, voilà pourquoi il a cette force mentale, ce parcours atypique, admire Farès Hachi. Djamel a besoin de recevoir pour donner. Ce qu'il a démontré, c'est une preuve que dans la vie de tous les jours, quand on croit en certaines choses, quand on s'en donne les moyens, à un moment donné, ça paye. Une preuve réelle d'un joueur qui n'avait pas les mêmes opportunités, pas le même réseau que d'autres.» «Il a fermé beaucoup de bouches par rapport à son talent, conclut Lounis Hamrioui de la JSK. Toute personne connaît sa valeur. Lui savait, mais personne ne la reconnaissait. Il a tout prouvé par rapport à sa personnalité de gladiateur, de guerrier.» Avec des prières qui ont fini par être exaucées.

Timothé Crépin