Trainer Julian Nagelsmann (Leipzig) mit Maske Leipzig, 16.05.2020, Fussball Bundesliga, RB Leipzig - SC Freiburg *** Local Caption *** (ChristianSchroedter/Pool/WITTE/PRESSE SPORTS)

ADN protéiforme et homme insatiable : dans la tête de Julian Nagelsmann

Il n'est pas Français. Il ne marque pas but sur but. Mais à lui non plus, on ne parle pas d'âge. À 33 ans, Julian Nagelsmann pense le football différemment. Avec, comme mots d'ordre : modernité, flexibilité et ludisme. Percée dans le cerveau d'un tacticien hors-pair, qui va prendre les rênes du Bayern.

Alors que Julian Nagelsmann vient d'être nommé comme le prochain entraîneur du Bayern Munich, FF.fr vous propose de découvrir ou de redécouvrir ce Grand Format consacré à la méthode de l'entraîneur allemand.

Début novembre 2018 à Lyon. L'atmosphère est lourde. Pour la deuxième fois en deux semaines, Hoffenheim rattrape Lyon dans les ultimes secondes. Mais cette fois-ci, l'OL avait deux buts d'avance. Et l'avantage numérique. Épatant épouvantail en Ligue des champions, Hoffenheim s'est transformé en une vague bleue incoercible. À son peak, un technicien au visage poupon : Julian Nagelsmann. Comme l'impression que son braquage était écrit d'avance, mais que l'OL n'a rien pu faire. Un effectif au diapason, et une asphyxie tactique à dix contre onze. Cette fois, c'est sûr, l'Europe n'oubliera pas son nom.

Mais pour comprendre les préceptes du «Managerial Wunderkid», il faut revenir en 2007, quand son nom était perdu dans un océan de jeunes joueurs. Alors défenseur central dans la réserve d'Augsbourg, Nagelsmann s'intéresse déjà au poste d'entraîneur. Matthias Kaltenbach, son adjoint à Hoffenheim, rembobine : «À l'époque, dans son équipe d'U23, c'est lui qui s'occupait de l'analyse de l'adversaire. Il a commencé à apprendre avec son coach d'alors, Thomas Tuchel.» Période dont il gardera plusieurs marques. Sur son corps, déjà, puisqu'après une deuxième opération du ménisque, son cartilage étant touché, il était contraint d'arrêter de jouer pour éviter une arthrose. Et dans sa tête. Sans pour autant suivre la trajectoire, ni les idées de l'actuel entraîneur du PSG, il gardait ce goût de l'analyse de l'adversaire tatouée dans son crâne.

Des inspirations multiples

«En plus de l'entraînement sur le terrain, il y avait aussi des analyses très intenses, confie Leonardo Bittencourt, joueur à Hoffenheim. Chaque match est disséqué. Les erreurs sont toujours traitées en profondeur. Il montre à chaque fois les décisions qu'il fallait prendre.» Intense. Mais jamais assez. Alors pour aller plus loin, le technicien n'hésite pas à s'inspirer et s'approprier les nouvelles technologies. Bittencourt toujours : «Si on veut analyser l'ensemble du jeu, il est utile de regarder le terrain et les situations d'en haut, ce qui explique qu'il utilise des drones. En particulier pour analyser le comportement de l'adversaire ou le déplacement des lignes. On voit bien mieux comme ça. Et en tant que joueur, on comprend beaucoup plus clairement.»

Cette appétence pour la modernité n'est pas frivole. Elle doit avant tout être un outil pour servir la tactique. De même manière que les statistiques ne doivent pas être utilisées juste pour être utilisées. Et même s'il arrive à Nagelsmann de penser en chiffres, ça reste théorique, pour améliorer la tactique. Comme lorsqu'il estimait dans nos colonnes qu'il faut «précisément 70% de défense et 30% dans le domaine offensif. Les deux sont ensuite divisés en termes de qualité et de mentalité. En défense, on a besoin de 80% de mentalité et 20% de qualité. Si on y parvient, il y a 70 % de chances de gagner le titre de champion.» Pourcentages dont les parts restent très faibles comparées à l'importance de l'analyse de l'adversaire pour l'Allemand. Kaltenbach développe : «Il est tactiquement bien éduqué et très flexible. Parfois, il laisse son équipe pousser vers l'avant, parfois il la laisse jouer et attend pour pouvoir utiliser les espaces en contre. Cela dépend toujours des forces et des faiblesses de l'adversaire, mais aussi de la forme de son effectif. Il élabore des plans de match spécifiques, indépendants du système de jeu et assez flexibles pour pouvoir être ajustés en cours de match.» On est bien loin de l'entraîneur aux préceptes arrêtés, qui ne démord jamais de son 4-4-2 et des mêmes profils de joueurs. Avec Nagelsmann, à chaque match son système, et à chaque situation son plan de jeu. Ceci explique pourquoi ses joueurs gardent la tête froide en toutes circonstances. Dans un coin de leur tête, ils savent toujours quoi faire pour s'en sortir. Et ça passe parfois par des changements de postes surprenants. Comme Philipp Ochs, avant-centre de formation, qui s'est retrouvé latéral gauche à plusieurs reprises. Mais sans jamais rechigner à la tâche.

«Il est tactiquement bien éduqué et très flexible. Parfois, il laisse son équipe pousser vers l'avant, parfois il la laisse jouer et attend pour pouvoir utiliser les espaces en contre. Cela dépend toujours des forces et des faiblesses de l'adversaire, mais aussi de la forme de son effectif.»

Des joueurs stimulés pour un ADN flexible

En somme, le technicien n'a pas de profil privilégié, mais demande une chose à ses joueurs : de l'intelligence tactique. Encore que, il s'entend toujours bien avec des joueurs rapides. Ceux capables de dynamiter les lignes adverses en percutant sur les côtés ou en maitrisant les rythmes dans l'axe. Comme Leonardo Bittencourt ou Joelinton. Le premier amorce : «Comme je suis rapide, j'avais un rôle tactique clé dans le jeu de transition. Je devais créer des situations dangereuses près ou dans la surface.» Le second enchaîne : «J'ai appris beaucoup de choses avec lui, à la fois techniquement et tactiquement. L'entraînement avec Julian Nagelsmann était intense. On s'entraînait toujours en fonction de ce qu'il voulait qu'il se passe lors du match suivant, toujours en essayant d'exploiter les faiblesses des autres équipes. A chaque fois, on jouait différemment. Il nous donnait toutes les informations, et ça nous aidait dans notre tâche lors des matches.» Toujours imprévisible, en s'adaptant tous les week-ends. Un signe de faiblesse pour certains, qui estiment que ne pas avoir de philosophie propre est une erreur. Mais jusque-là, son ADN, jamais renié, lui donne raison.

Un élément clé qui en explique la réussite, c'est son rapport aux joueurs. Encore en crampons il y a une dizaine d'années, son expérience du vestiaire lui permet de composer sa mixture personnelle. A quoi bon être imprévisible tactiquement si ses propres hommes sont perdus ? Certes, l'analyse vidéo est primordiale, mais il ne faut pour autant noyer ses élèves. Cette donnée, Nagelsmann l'a toujours en tête. Alors, il prend le problème à l'envers et décide de constamment intéresser et stimuler ses joueurs. Pour ça, les nouvelles technologies et méthodes d'entraînement sont un outil formidable. Son assistant d'alors embraye : «Ses entraînements sont extrêmement variés et créatifs. Il crée toujours lui-même la structure de jeu, basée sur l'adversaire ou sur un objectif particulier. Les exercices sont très majoritairement basés sur beaucoup de règles et de stimulation. Comme ça, les joueurs sont mentalement challengés, de telle manière qu'ils puissent prendre les bonnes décisions en match sous pression beaucoup plus rapidement.» Une approche ludique qui permet de garder la tête froide selon Bittencourt.

«Ses entraînements sont extrêmement variés et créatifs. Il crée toujours lui-même la structure de jeu, basée sur l'adversaire ou sur un objectif particulier. Les exercices sont très majoritairement basés sur beaucoup de règles et de stimulation. Comme ça, les joueurs sont mentalement challengés.»

Alors, quand l'effectif est en surrégime et qu'il faut en changer pour nourrir ses ambitions, il n'en démord pas. L'an passé, alors entraîneur d'Hoffenheim, il signait un pré-contrat avec Leipzig en milieu de saison. Peu commun pour un entraîneur. Mais la situation a été acceptée par tout le monde, sans exception. Déjà parce qu'il avait la manière de l'annoncer : «Dans une conversation ouverte et honnête à quatre yeux. Il est comme ça», pour son assistant, mais aussi parce que c'était la suite logique. Joelinton étant en vacances, c'est Bittencourt qui raconte l'avis du vestiaire : «Tout le monde l'a regretté, car c'est un entraîneur extraordinaire. Mais les joueurs ont compris qu'un coach comme lui veuille se développer et atteindre ses ambitions.»
 
Rares sont ceux qui ne se sont pas entendus avec Julian Nagelsmann. Quiconque a dans son sac à dos l'amour du ballon et la soif d'apprendre a grandi sous ses ordres. Les compliments ne manquent pas. Passe décisive de Joelinton : «Il est très intelligent, et arrive à tirer le meilleur de chacun de ses joueurs. Il est bien parti pour devenir un des meilleurs entraîneurs du monde.» Et finish de Bittencourt : «Julian Nagelsmann est un entraîneur 4.0 qui apporte tout ce qu'il peut pour façonner le football de demain.»

Le Hoffenheim de Nagelsmann, Bittencourt, Joelinton et Kaltenbach. (Thorsten Wagner/WITTERS/PRESSE/PRESSE SPORTS)

«Parler avec lui, c'est comme suivre une conférence passionnante»

Dans son approche du football, Nagelsmann n'oublie jamais qu'il s'agit d'un jeu. Les joueurs doivent prendre du plaisir. Mais aussi avoir l'envie de gagner. Une lubie chevillée au corps du technicien. «La chose que je retiens le plus de lui, c'est son désir insatiable de gagner, de toujours chercher à s'améliorer», sourit Joelinton. Une passion qui transpire de partout. Dans les mini-jeux qu'il peut faire avec son groupe, où la défaite n'est pas une issue valable, ou sur le banc. «On a toujours l'impression qu'il joue avec nous sur le terrain, même s'il nous dirige sur le banc», abonde-t-il.

La gagne, elle passe par de la rigueur et de l'ambition. Alors il ne laisse rien passer. Souvenirs du buteur brésilien : «A l'entraînement, même quand il était au téléphone, il corrigeait nos erreurs de positionnement.» L'objectif n'est atteint que quand les joueurs ont pleinement compris ses idées. Peu importe si ça bafouille sur le terrain, il faut que ce soit clair dans les têtes. Alors concrètement, que veut faire Nagelsmann de la gonfle ? «Pour lui, la possession n'est pas une fin en soi, analyse Bittencourt. Elle doit uniquement servir à une préparation, dans le but de créer une situation optimale de contre-pressing. Il ne faut pas forcément avoir beaucoup le ballon, mais une possession de grande qualité.» La qualité prévaut à la quantité. Aussi pour cette raison que ses causeries ne traînent pas en longueur mais vont à l'essentiel. Et ça fait mouche. Bittencourt garde la parole : «Julian Nagelsmann a été un facteur important dans mon choix de venir à Hoffenheim. C'est un entraîneur très moderne qui a une façon de penser nouvelle, et qui inspire énormément par ses idées. Parler avec lui, c'est comme suivre une conférence passionnante. J'ai toujours trouvé fascinant de l'écouter.» Une bonne communication, la première brique des constructions Nagelsmann.

«Julian Nagelsmann est un entraîneur 4.0 qui apporte tout ce qu'il peut pour façonner le football de demain.»

Emile Gillet