Soccer Football - Europa League Quarter Final First Leg - Arsenal v Napoli - Emirates Stadium, London, Britain - April 11, 2019 Arsenal's Aaron Ramsey celebrates scoring their first goal REUTERS/Ian Walton (Reuters)

Aaron Ramsey, de Cardiff à Turin : itinéraire d'un Gallois qui a conquis Arsenal

Arrivé en 2008 de Cardiff, Ramsey a connu une histoire mouvementée avec les Gunners. Pour ses derniers matches avant de rejoindre la Juve, le Gallois veut son dernier baroud d'honneur.

Aujourd'hui, on l'imagine cavaler aux quatre coins du pré. Tantôt le brassard vissé au biceps droit, tantôt à célébrer des buts. On l'imagine très bien faire une course de cinquante mètres à Wembley, dribbler Hugo Lloris et s'en aller crier devant les supporters : «This is my fucking home !». Contre l'ennemi héréditaire, les Spurs. Comme pour rappeler qu'il avait soulevé trois Coupes d'Angleterre dans cette enceinte. Pourtant, pour Aaron Ramsey, tout a commencé avec un ballon dans les mains et non aux pieds, de forme ovale plutôt que ronde. Sûrement que le rugby lui a inculqué ces valeurs collectives, ce côté athlétique et cette volonté de toujours donner de sa personne. Car oui, avant d'être footballeur, le Gallois a été, un temps, rugbyman, jusqu'à ses neuf ans. A Caerphilly, plus précisément, une bourgade à proximité de Cardiff, où demeurent quelque trente-mille habitants et où il est né. On dit même de lui qu'il était plutôt bon joueur. Lui-même racontera à plusieurs reprises qu'un de ses premiers rêves était de porter la tunique rouge du Pays de Galles. Cette même tunique qu'il a portée 58 fois, mais avec la sélection qui était demi-finaliste de l'Euro 2016. Il en devenait le plus jeune capitaine de l'histoire, en 2011, âgé de vingt ans.

Un faux départ à Manchester United

Sa carrière de footballeur, elle, se lançait à Cardiff. Ce gamin aux cheveux mi-longs se distinguait rapidement, dès les U16. «On savait qu'on avait un gros talent à l'académie, se souvient Dave Jones, alors entraîneur des Bluebirds. On a décidé de le prendre avec nous. On pensait que c'était le bon choix pour qu'il progresse. Et il est arrivé à pas de géant ! Il n'a cessé de devenir de plus en plus fort». Dans l'équipe, des joueurs de grande classe, internationaux, et reconnus : Jimmy Floyd Hasselbaink, Robbie Fowler ou Peter Witthingham, par exemple. «Plus tard, on l'avait autorisé à rejouer un match avec les jeunes, raconte son premier entraîneur en pro. Il était le pire joueur sur le terrain ! Parce qu'il voyait des choses que les autres ne voyaient pas et que ces derniers ne suivaient pas».

A l'été 2008, c'est le tournant. Alors que son écurie est en Championship, trois mastodontes de Premier League se manifestent. Et non des moindres : Everton, Arsenal et... Manchester United. Il y a alors un choix à faire. Les Red Devils semblent les mieux avancés, et vont jusqu'à officialiser un accord sur leur site internet. Un accord avec Cardiff sur le prix du transfert, pas sur les termes du contrat du joueur. Une nuance importante tandis que du côté de Londres, on s'active. A l'époque, The Guardian narrait : «Wenger était en dehors du pays, mais aux frais d'Arsenal, a fait venir la famille de Ramsey en jet privé en Suisse pour déjeuner avec lui». Le tour était joué. «Je voulais qu'il aille à United ! Ils allaient nous le reprêter dans la foulée, lâche, amusé, Dave Jones. Quand il est parti à Arsenal, j'ai su qu'ils voulaient le garder et le faire jouer. Et puis, ils ont payé cash, sans mensualités, Cardiff avait besoin d'argent». Le coach se souvient d'avoir reçu des appels de Sir Alex Ferguson et d'Arsène Wenger, qui «demandaient plein de choses sur Aaron» et «savaient très bien que c'était un super joueur».

«Quand il est parti à Arsenal, j'ai su qu'ils voulaient le garder et le faire jouer. Et puis, ils ont payé cash, sans mensualités, Cardiff avait besoin d'argent» (Dave Jones)

A Cardiff, on est unanime : Ramsey était special, un terme qui, traduit dans la langue de Molière, perd de sa force. Mais en dépit de toute ses qualités déjà visibles dès son plus jeune âge, qui pouvait se douter qu'en 2019, il serait le joueur d'Arsenal au club depuis le plus longtemps ? De l'eau a coulé sous les ponts, les Gunners ont avancé, Ramsey a grandi, certains coéquipiers et potes sont partis, Wenger lui, a quitté le navire. Après 22 ans de règne. Lors de sa présentation à Arsenal, il expliquait que le Français «a eu un grand rôle dans ma décision. Il m'a parlé pendant longtemps, à propos du club, de ses plans pour le futur». Une relation forte naissait entre les deux, tout comme son amour pour Arsenal, à mesure que sa carrière avançait. Mais toujours en restant le «garçon simple et gentil» qu'il était. «Il y a plein de belles choses chez Aaron. Je me souviens d'un petit enfant qui n'avait malheureusement plus beaucoup de temps à vivre, raconte Jones. Je lui ai demandé s'il pouvait le voir, c'était un fan d'Arsenal. Il a pris le temps de rester avec lui, de l'emmener faire un tour, de lui donner ses chaussures, son maillot».

«J’ai appelé Wenger. Je lui ai dit : "Pourquoi ne pas le faire revenir chez nous plutôt que de le faire jouer en réserve ?". On pouvait le remettre sur pied, explique Dave Jones. J’aurais aimé le garder jusqu’à la fin de la saison, mais Arsène a souhaité le récupérer. Ça nous a probablement coûté la promotion tant il était une pièce maîtresse !». En effet, Ramsey a su rebondir. Doucement mais sûrement, il retrouvait de la confiance, sa fougue, sa capacité à s’arracher sur tous les duels. «Je me suis rendu compte à quel point le football était important pour moi, déclarait-il à The Independent en 2011. Je regardais les matches, sur mon canapé, je me disais :"je devrais être là". C’était ça le plus difficile». Du côté du Pays de Galles, il n’y avait aucun doute sur sa capacité à revenir. «Les joueurs, le staff, l’équipe médicale, tout le monde a joué un rôle central, explique Jones. L’important était de savoir comment il allait réagir au niveau de la confiance, il devait se reconstruire».

Une grave blessure

Le Gallois est passé par bon nombre d’étapes. Certaines plus douloureuses que d’autres. La pire d’entre elles, le 27 février 2010, au cours d’une froide soirée d’hiver au Britannia Stadium. Après un tacle de Ryan Shawcross, sa jambe est en lambeaux. Le vétéran Sol Campbell est en furie, Cesc Fabregas, horrifié, fait des signes dans tous les sens. Le joueur de Stoke City, expulsé, quitte la pelouse en larmes. Le verdict est sans appel : double fracture tibia-péroné. Il ne revenait que quelques mois plus tard, puis été envoyé en prêt à Nottingham Forest, et à la maison, à Cardiff, en février 2011, pour retrouver sa forme physique. 

Puis il y a eu cette incroyable saison 2013-2014. Ou plutôt cette demi-saison. En cinq mois de compétition, il inscrivait treize buts et délivrait sept passes décisives. En fait, tout ce qu’il tentait fonctionnait. Talonnades, ailes de pigeon, passes aveugles, frappes de trente mètres ou en première intention… Unstoppable. Mais encore une fois, une blessure l’arrêtait net. C’était fin décembre. Touché à la cuisse, il ne revenait qu’en avril… à temps pour soulever la FA Cup. Le premier trophée d’Arsenal depuis 2005, au terme d’une laborieuse finale contre Hull City. Les Gunners, menés 2-0, renversaient la situation et Ramsey scorait le but salvateur à la 109e minute. Symbolique de sa faculté à toujours renaître de ses cendres, mais aussi de son attachement à Arsenal. Malgré les embûches, toujours garder le cap. «C’est le genre d’élève qu’on ne rencontre qu’une fois dans une vie. Il nous a plus aidés qu’on ne l’a aidé, relatait Jeremy Evans, son enseignant dans le secondaire, dans The Guardian en 2015. J’ai enseigné vingt-cinq ans et il est largement le meilleur élève que je n’ai jamais eu». Très jeune, il arrivait à prendre le recul nécessaire pour analyser les situations. Des signes avant-coureurs qui se retranscrivent désormais sur le terrain. «Sa vision du jeu était extraordinaire. Il voyait toujours les espaces, relate Dave Jones. Il n’a pas l’air très rapide, mais il va beaucoup plus vite qu’il n’y parait ! Il slalomait entre les joueurs, toujours avec ce toucher de balle soyeux».

«Je regardais les matches, sur mon canapé, je me disais :"je devrais être là". C'était ça le plus difficile» (Aaron Ramsey dans The Indepedent à propos de sa blessure)

En 2010, dans The Independent, il expliquait :«Wenger me voulait plus que Ferguson». Aurait-il dû signer son contrat quand la proposition était sur la table avant le départ du Français ? Peut-être. En tout cas, depuis ce 11 février, date officielle de son accord avec la Vieille Dame, il n’a rien changé. Il donne toujours son maximum pour le club, celui qui lui a tout apporté, dans lequel il est passé de gamin à homme. La saison passée, il remportait le «titre» de meilleur joueur de la saison d’Arsenal. En février dernier, lors de la conférence des Leureus World Sports Awards, Wenger réagissait au départ de son protégé : «Ce sera une grosse perte pour Arsenal. C’est un super joueur pour aller de l’avant. Il peut conserver le ballon haut, faire de bons appels. On ne trouve que peu de milieux qui peuvent faire de bons mouvements sans le ballon».

Aaron Ramsey, à Wembley en 2014, avec le trophée de la FA Cup. (Photo : Marc Atkins/Offside)

«J'ai enseigné vingt-cinq ans et il est largement le meilleur élève que je n'ai jamais eu» (Jeremy Evans, son ancien enseignant dans le secondaire, dans The Guardian)

A Turin, il découvrira une nouvelle étape. Mais à 28 ans, il est pic au de sa carrière, et pour un joueur qui a déjà annoncé son départ, le voir maintenir un tel niveau force le respect. D’aucuns estiment qu’il est même meilleur qu’il ne l’a jamais été avec les Gunners. «L’excellence continue de Ramsey met en évidence le genre de personnalité qui va manquer à Arsenal», titrait The Telegraph après la victoire contre Naples en C3 (2-0). L’article, des plus élogieux, à l’instar de toute la presse anglaise, louait «son professionnalisme et sa force de caractère». Depuis quelques semaines, il a redécouvert son poste de milieu central, là où il avait brillé jadis. Probablement pas assez pour les supporters tant les espoirs étaient immenses. Ramsey n’est pas réputé pour sa technique «neymaresque», ni forcément pour son aisance «messiesque» balle au pied. Mais pour son envie constante de bien faire et son abnégation. Quand il était en déliquescence à Arsenal, personne n’a jamais pu lui enlever cela. Et Emery, devant la presse, de renchérir, en guise de conclusion : «Je suis si content de son attitude. Je crois qu’il veut réussir avec nous, pour nous aider à décrocher quelque chose de spécial parce qu’Arsenal lui tient à cœur». En ligne de mire, il y a la Ligue Europa. Un trophée dont Emery a fait sa spécialité. Et peut-être un dernier baroud d’honneur pour le Gallois.

Un nouveau chapitre en Italie

Dix ans avant son départ, quand il accueillait le joueur, Arsène Wenger louait sa polyvalence et sa capacité à jouer à peu près partout au milieu mais aussi… en défense. Un profil hybride. A Arsenal, Ramsey a joué ailier droit, afin de densifier le milieu, comme numéro 8, meneur de jeu voire deuxième attaquant. «Pour moi c’est le joueur de football complet par excellence, explique Dave Jones. C’est comme un diamant. Plus vous le polissez, plus il va briller». L’Alsacien a toujours cru en son joueur. Même quand il se blessait, souvent, trop souvent. Qu’il était en méforme, que ladite fanbase des Gunners lui tombait dessus. Même quand tout était contre lui, il ne l’a jamais abandonné et son petit protégé le lui a bien rendu. 370 matches plus tard, il est toujours là, mais plus pour très longtemps. Il ne pourra atteindre la symbolique barre des 400. Son avenir est désormais ailleurs, du côté de l’Italie, et la Juventus Turin. Il quittera Arsenal en juin prochain, faute d’un accord sur sa prolongation.

«Ce sera une grosse perte pour Arsenal. On ne trouve que peu de milieux qui peuvent faire de bons mouvements sans le ballon» (Arsène Wenger)

Comme si de rien n'était

Pourtant, parfois, les supporters ont pu rester sur leur faim avec un Ramsey qui avait du mal à enchaîner les performances. Méforme, choix tactiques ou blessures, il n’y a pas toujours eu cette régularité dont il fait preuve aujourd'hui. Il a pu récupérer une position ou un rôle quelque peu inconfortable, dans une équipe en difficulté, sans garantie défensive. Ramsey a besoin de pouvoir se projeter. Unai Emery a aussi tâtonné. Jusque récemment, il ne l’a pas toujours utilisé, et tentait de trouver la bonne formule pour l’associer avec Özil. Deux cas jugés problématiques pour des raisons différentes. Avec des qualités de box-to-box, endurant, qui court partout, prêt à se battre, Aaron Ramsey sera sans doute utiliser à bon escient à la Juve. «Il a toujours eu confiance en lui. Quand il est venu s’entraîner avec l’équipe première, il n’a pas tremblé, se souvient son entraîneur à Cardiff. Il voulait toujours apprendre et il faisait les efforts. Même quand il ne recevait pas les ballons, il était constamment en mouvement. Cette patience est très importante». 

«L'excellence continue de Ramsey met en évidence le genre de personnalité qui va manquer à Arsenal» (The Telegraph)

Jérémy Docteur