(L'Equipe)

À lire dans France Football cette semaine, le dernier tacle de Julien Cazarre : Vernon Subutex

Comme chaque semaine, Julien Cazarre glisse son tacle à retardement dans France Football. Il revient cette fois sur l'Ajax Amsterdam, et sa philosophie du football.

Ça va, on le dérange pas, Cazarre ? Il a qu’à faire de la pub pour une série de Canal +, on lui dira rien ! Bon, déjà, je fais ce que je veux parce qu’au moment où je vous parle je suis à poil avec un gilet jaune, ce qui me donne le droit de faire ce que je veux au mépris de la loi (le gilet jaune, pas le fait d’être à poil). Et puis franchement, vous préférez que j’appelle mon papier Joséphine ange gardien ? L’histoire d’une naine qui fait de la magie pour sauver des situations difficiles ? Mais mon propos n’est pas sur Leo Messi... Donc restons sur Vernon. Vernon Subutex, avant d’être une série, est un livre qui raconte l’histoire d’un type complètement hors de son époque, en décalage avec le monde qui l’entoure alors qu’il était une icône de sa génération une vingtaine d’années auparavant. L’Ajax Amsterdam, c’est un peu notre Vernon du foot moderne.

Dans le roman, Subutex, expulsé de chez lui et sans abri, décide d’aller retrouver ses anciens amis de la grande époque où c’était la teuf H24, où on voulait tout révolutionner, où le rock c’était la vie et demain un truc de vieux… Demain n’existait pas tellement, aujourd’hui semblait déjà loin. Quand il les retrouve les uns après les autres, il les embrasse avec chaleur et spontanéité, comme si le vomi sur les pompes à la sortie du concert de Cure au Bus Palladium c’était la veille. Il a gardé son enthousiasme, sa fraîcheur, son insouciance et cette incroyable envie de se foutre de tout. De tout, sauf de trois trucs, son vieux cuir, sa coupe déglinguée et son album live collector d’un groupe de rock alternatif anglais dont il est seul à connaître le nom.

Ses potes, eux, ont bien changé, fini les cheveux longs, les jeans défoncés et l’appart qui ressemble à Beyrouth 87 avec des posters de Pink Floyd et King Diamond en plus. Tout ça, c’est bien loin, c’était la lose, mais maintenant, c’est fini, ils sont rangés des bagnoles, ils ont réussi. Le p’tit pavillon qui va bien, le SUV qui tape et une belle situation avec de bonnes perspectives d’évolution au sein de la boîte… Le bonheur, quoi ! Oh, il y a toujours le poster des Pink Floyd mais dans un cadre au mur au-dessus du vaisselier Roche Bobois avec la lampe Philippe Stark et la bougie relaxante de chez Naturalia. Tout va bien, quoi. Mais quand ils voient arriver Vernon, ils le trouvent attendrissant, touchant même, avec sa dégaine hors du temps. Il réveille en eux une nostalgie déroutante qui te rappelle qu’à une époque t’avais plus de cheveux que de thunes, mais que c’était très bien comme ça.
 
Pendant les trois semaines où tu l’héberges chez toi, tu te remémores cette période bénie où tu kiffais sans te préoccuper des conséquences. T’avais pas le crédit de la baraque, de la caisse, l’école privée du gamin, l’abonnement au country club… Enfin, c’est compliqué, quoi ! Évidemment, tu ne l’envies pas Vernon, avec ses galères d’appart et sa mine pas rasée. Mais il t’a renvoyé dans la tronche tes rêves de grandeur passée. Bien sûr, l’Ajax sera pillé l’an prochain, peut-être ne gagneront-ils même pas la Ligue des champions… Peut-être que tout cela n’aura été qu’une parenthèse enchantée dans un football cynique et avide de résultats. Mais cette année, l’Ajax aura rappelé à certains qu’avant d’être «une entreprise à objectifs dont les enjeux sont trop importants pour qu’une erreur d’arbitrage décide de l’issue d’un score», le foot est un jeu. Ça paraît con, comme ça… mais c’est con. Le foot, c’est comme un gosse de vingt ans, ça sait très bien que le futile c’est l’essentiel.

Cette année, l'Ajax aura rappelé à certains qu'avant d'être «une entreprise à objectifs dont les enjeux sont trop importants pour qu'une erreur d'arbitrage décide de l'issue d'un score», le foot est un jeu.

Julien Cazarre