(L'Equipe)

A lire cette semaine dans France Football, Hatem Ben Arfa : «Une sélection, c'est une grande colo d'adultes»

Pendant tout le Mondial, Hatem Ben Arfa a carte blanche dans les colonnes de France Football. Cette fois, il raconte la vie d'un groupe lors d'un tournoi majeur.

«Une compétition d'un mois, c'est surtout, avec la préparation, presque six semaines de temps morts à gérer pour un groupe d'une vingtaine de joueurs. De l'extérieur, on ne se rend pas bien compte de ce que cela représente. On pense : "Ils sont pros, ils ont l'habitude, on ne va pas les plaindre..." Mais cette promiscuité contrainte n'a rien d'évident, surtout lorsque vous regroupez autant d'hommes avec des attentes, des histoires et des ambitions différentes. Un grand tournoi, c'est un immense train-train vu de l'intérieur, surtout pour ceux qui ne jouent pas trop. En boucle, c'est "tu dors, tu manges, tu t'entraînes, tu dors, tu manges, tu t'entraînes..." Dans une journée, il y a plein de trous, de temps morts à occuper, à combler. O.K., il y a le téléphone, les parties de cartes, les jeux vidéo... Mais, à un moment, tu peux avoir le sentiment de tourner en rond.

Une sélection, c'est une grande colo d'adultes. Avec un mono, le sélectionneur, qui occupe un rôle essentiel. Je me souviens de mon séjour en Ukraine, à Kirsha, lors de l'Euro 2012, avec Laurent Blanc. J'avais l'impression de me retrouver dans un camp militaire retranché. J'étouffais vraiment, avec un gros sentiment d'enfermement, parfois un peu oppressant. Dans ce domaine, je pense que la France a beaucoup de retard. Nous sommes un peu frileux et restés bloqués sur ce qui se faisait il y a vingt ans. On veut absolument tout mettre sous cloche, tout contrôler, tout maîtriser. Ça doit rassurer. Mais ça peut plomber aussi un climat et renvoyer auprès des joueurs un sentiment de non-confiance. Du genre : "On ne vous quitte pas du regard car on sait de quoi vous êtes capables..."

«Lors de l'Euro 2012, j'avais l'impression de me retrouver dans un camp militaire retranché. J'étouffais.»

Car il ne faut pas se le cacher, la vie de "coiffeur" n'est pas toujours terrible durant un tournoi. On est sans cesse pris entre la frustration de ne pas jouer et l'obligation de se tenir à carreau pour le bien de la collectivité. On peut finir par se déconnecter du groupe. Moi, à la place de Deschamps, j'organiserais davantage de journées "famille" pour les joueurs pendant la compétition. Ce sont des moments de régénération et de respiration essentiels qui valent tous les entraînements. Les joueurs sont de grands garçons responsables. Il faut ouvrir la porte de la cage. N'ayez pas peur, ils ne s'envoleront pas très loin et reviendront toujours. Avec le sourire en plus. Et un joueur avec la banane, c'est au moins 30 % d'efficacité en plus.»

Je connais bien Didier Deschamps pour l'avoir eu à la fois comme entraîneur et comme sélectionneur. C'est évidemment un technicien qui a beaucoup de qualités mais je ne suis pas certain qu'il soit très ouvert sur l'évolution d'un mode de fonctionnement en interne. C'est dommage. J'en ai parlé avec Draxler. Il m'a expliqué comment fonctionnait la sélection allemande avec Löw. Lui, il a tout compris. Il multiplie les quartiers libres en accordant une grande confiance à ses joueurs. Les Allemands bénéficient de pas mal de libertés lors de leurs rassemblements. Ça permet de faire rentrer de l'air frais et de l'oxygène dans la tête des sélectionnés. C'est intelligent comme procédé. Les joueurs peuvent ainsi continuer à avoir une vie "normale" et, éventuellement, évacuer leurs frustrations avec leurs proches plutôt qu'avec leurs coéquipiers.

«Löw, lui, il a tout compris. Il multiplie les quartiers libres en accordant une grande confiance à ses joueurs.»

Hatem Ben Arfa